Expositions
33. Ville objective
Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930
Un roman hollandais évoque une ville grâce à des documents intégrés dans le livre et à la typographie
Le roman de Ben Stroman Stad (Ville, 1932) est un des meilleurs exemples de ce qu’on appelle « Neue Sachlichkeit » (« Nouvelle-Objectivité », en néerlandais « Nieuwe Zakelijkheid ») dans la littérature néerlandaise. Le livre est surtout fascinant d’un point de vue typographique. Son graphisme a été réalisé par Paul Schuitema (1897-1973), un photographe, cinéaste et graphiste célèbre. Le collage de la couverture combine des images photographiques qui renvoient à la ville (une tour et un port) avec des lettres (apparemment tirées d’un journal). Le texte de ce roman est imprimé avec de larges marges qui sont parfois occupées par des annotations (en particulier pour la traduction de mots d’argot incompréhensibles).
Stroman (1902-1985) était un critique littéraire surtout actif en tant que journaliste et Stad était son premier roman. Le cadre du roman est une ville qui n’est pas nommée mais dans laquelle on reconnaît Rotterdam, grande ville néerlandaise célèbre pour son port. Le roman se compose comme une chronique, chaque titre de chapitre se référant à un jour de la semaine. En général, les événements couvrent un spectre temporel de quelques semaines, situées au cours de l’année 1926 (bien que ce ne soit pas mentionné explicitement). Des recherches historiques ont montré comment l’auteur avait utilisé un grand nombre d’informations et d’anecdotes historiquement avérées pour renforcer l’effet de réel de son texte. Le roman se concentre sur divers personnages d’origines sociales variées : la grande bourgeoisie et les industriels mais aussi de banals délinquants et des membres de la classe ouvrière. Ces interactions sociales complexes sont accentuées par la description de certaines rencontres, par exemple chez un fleuriste ou lors d’une réunion. Les événements et les personnages deviennent de plus en plus liés, jusqu’à la fin qui, avec un meurtre, en constitue le climax.
Pourtant, malgré ces stratégies narratives classiques, Stroman met l’accent avant tout sur l’évocation de la ville, qui peut être considérée comme le personnage principal du livre, comme dans Manhattan transfer ou Berlin Alexanderplatz. Dans ce but, l’auteur inclut des descriptions extensives, fournissant au lecteur un grand nombre de données sur les prix et des informations factuelles. Plus important encore, les documents sont intégrés dans le livre : articles de journaux, annonces, publicités, etc. Ces textes sont aussi bien souvent marqués typographiquement. En outre, Stroman fait usage de techniques issues du montage cinématographique, par exemple lorsque l’un des personnages voyage en train et que ses pensées intérieures sont envahies par les publicités qu’elle voit défiler sous ses yeux.
Le roman de Stroman relève, avec les œuvres de Revis (de Bordewijk et de Kuyle), de la « Nouvelle Objectivité » dans la littérature néerlandaise. Ce type de littérature, qui s’inspire clairement de modèles internationaux (notamment Ehrenburg) était alors controversé en raison de la combinaison de techniques journalistiques et de techniques littéraires.
Pistes bibliographiques
Jaap Goedegebuure, Nieuwe Zakelijkheid, Utrecht, HES, 1992.
Hans Anten, Van realisme naar zakelijkheid, Utrecht, Reflex, 1982.
Ralf Grüttemeier, Hybride Welten. Aspekte der ‚Nieuwe Zakelijkheid‘ in der niederländischen Literatur, Stuttgart, M und P, 1995.
Ralf Grüttemeier, Klaus Beekman and Ben Rebel (eds.), Neue Sachlichkeit und Avant-Garde, Amsterdam, Rodopi, 2013.