Expositions
06. La radio du ‘consensus’
Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930
Les médias de masse comme document contemporain
On ne peut certainement pas dire que la radio était, dans les premières années de sa distribution sur le territoire italien, un véritable moyen de « communication de masse ». Le principal problème dans les débuts de la radio populaire était le faible nombre de radios en circulation (en 1934 seulement 9 appareils pour 1000 habitants), ainsi qu’un prix rédhibitoire. Un récepteur radio moderne coûtait alors plus qu’une voiture : seuls les riches pouvaient se l’offrir.[1]
Le régime fasciste a surmonté cet obstacle avec la diffusion complètement libre de radios dans les bureaux, clubs de loisirs, dans les écoles c’est-à-dire dans tous les établissements publics. En outre, en 1934, un appareil a été conçu uniquement pour le peuple italien, appelé « Radio Balilla », mis en vente en 1937 pour un prix de 430 lires de l’époque.[2]
Il n’est pas étonnant que Curzio Malaparte, écrivain habile, journaliste et rédacteur en chef de la revue Prospettive, ait consacré à cette époque un numéro thématique à ce sujet. Non pas parce qu’il s’y intéressait personnellement,[3] mais parce qu’il était surtout attiré par ce que la radio permettait en termes de propagande. La publication de ce numéro coïncidait également avec l’exposition consacrée à la radio qui avait lieu simultanément à Milan et qui lui a fait une publicité plus importante.[4] Il a écrit à son ami Borelli : « Tu as tout à fait le droit de critiquer le numéro dédié à la radio. J’en suis content du point de vue économique. À partir de maintenant je ferai ainsi : un numéro technique et un artistique. L’un payera l’autre. »[5] Mais les numéros artistiques devaient attendre. La première série de la revue Prospettive contenait uniquement des publications qu’il appelait « techniques » et qui garantissaient de bons chiffres de vente. Les deux derniers numéros surtout (La Sua politica estera (Politique extérieure) et Gli italiani in Spagna (Les Italiens en Espagne)) faisaient preuve d’un consensus avec le fascisme.
Malaparte sentait très fortement la nécessité de faire des choix politiques spécifiques, notamment parce qu’il venait de rentrer d’exil. Rares étaient ceux à être soumis comme lui à des contrôles stricts dans le cadre du régime et de la censure, mais dans « son journal » il n’a pas hésité à accueillir les « écrivains les plus audacieux et modernes d’Italie et d’Europe. »[6] C’est surtout le cas pour la deuxième série (publiée de 1939 à 1943), où le magazine a changé de visage en devenant un journal culturel, plus raffiné, qui représentait « l’approfondissement de l’hermétisme, la possibilité d’un surréalisme italien, une prose romanesque et une révision critique de l’existentialisme ».[7] La deuxième série est entrée dans l’histoire de la littérature comme « celle qui compte vraiment comme magazine »[8] alors que la première a été vite oubliée (pour les raisons énumérées ci-dessus).
On pourrait toutefois plaider en faveur d’une égale importance des deux séries, entendues comme des « documents historiques » ; la première parce qu’elle offre un aperçu de la société contemporaine à travers des thèmes modernes, vivement documentés par un point de vue plutôt populiste, tandis que la seconde est devenue le premier espace libre offert aux intellectuels de tous bords et de toutes idéologies politiques.[9]
[1] Alessandro Perotti, Radiosegugio.it [Storia della radio] (1999-2004), 33 paragraphes. En ligne.
[2] Étant donné que les émissions de radio étaient conformes à la politique du fascisme et qu’en 1938 les émissions avec « un net contenu de propagande politique » atteignaient déjà 33% du total de 65.000 heures de diffusion, il n’est pas étonnant que Mussolini affirme que « chaque village doit avoir une radio ». Source: Gianni Isola, L’ha scritto la radio: Storia e testi della radio durante il fascismo (1924 -1944), Milano, Edizioni Bruno Mondadori, 1998, p. 24.
[3] Lettre de Malaparte à Vallecchi, 16 septembre 1937 (Archives Vieusseux, A. Bonsanti, Florence).
[4] Propagande radiophonique pour Prospettive. Source: Edda Ronchi-Suckert, Malaparte, Vol. I-VII. Firenze, Ponte alle Grazie, 1992, p. 200.
[5] Lettre de Malaparte à Aldo Borelli, 5 octobre 1937, in Edda Ronchi-Suckert, Malaparte, vol. I-VII, Firenze, Ponte alle Grazie, 1993, p. 229.
[6] Giuseppe Pardini, « Malaparte, Moravia e Prospetttive », in Nuova storia contemporanea. III, 1, gennaio-febbraio 1999, p. 129.
[7] Anna Panicali, Tangenti. Le riviste del periodo fascista, vol. 76, Messina- Firenze, G. D’Anna, 1978, p. 104.
[8] Lorenzo Polato, Le Riviste dell’Italia moderna e contemporanea. Prospettive – Primato, Treviso, Canova, 1978, p. 9.
[9] Giancarlo Vigorelli, Testimonianza, in Luigi Martellini, ed., Curzio Malaparte. Opere scelte, Milano, Mondadori Editore (“I Meridiani”), 1997, pp. XI-XXXIX.
Pistes bibliographiques
Giorgio Candeloro, Storia dell’Italia moderna. Il fascismo e le sue guerre 1922-1939, [4e ed.], vol. 9, Milano, Universale economica Feltrinelli, 1992.
Curzio Malaparte, Prospettive 1939-1943. II° serie. Con fascicolo introduttivo di Giuseppe Pardini. [facsimile edition], Firenze, Casa Malaparte, Franco Cesati Editore e Vallecchi, 2006.
Lorenzo Polato, Le Riviste dell’Italia moderna e contemporanea. Prospettive – Primato, Treviso, Canova, 1978.
Carmen Van den Bergh