Expositions

05. Beauté du documentaire

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Le documentaire inspire : le cinéma documentaire fascine les écrivains en tant qu’instrument de révélation du réel

 

M. Jean Painlevé près d'un microscope, Agence de presse Meurisse, 1926, Gallica. Jean Painlevé, « La beauté du film documentaire : le film biologique », Le Monde, 18 janvier 1930, n° 85Biologiste, cinéaste et artiste proche des milieux surréalistes, Jean Painlevé se lance en 1927 dans le « cinéma scientifique » avec des œuvres comme La Pieuvre (1928) ou Les Oursins (1929). Investi dans la lutte antifasciste, il confèrera aussi à un documentaire expérimental comme Le Vampire (1945) une dimension politique en stigmatisant l’esprit de prédation qui a mené à la Seconde Guerre mondiale.

Dans la lignée de Germaine Dulac, théoricienne du « cinéma pur » en France, qui décrivait la germination d’un grain de blé révélée en accéléré par le documentaire, Painlevé souligne dans « Beauté du cinéma documentaire»[1] la faculté de l’objectif de montrer des merveilles naturelles invisibles à l’œil nu, tout en rappelant que toute image porte en elle les traces de sa construction.

Les artistes de l’époque partagent cet enthousiasme pour la capacité de révélation du réel offerte par le cinéma documentaire. En une formule frappante, le peintre Fernand Léger salue ainsi la force plastique de ces « faits objectifs très beaux »[2] qu’apprécie aussi le cinéaste Buñuel, dont le film le plus fameux commence par un documentaire sur les scorpions. Il va de soi que « cette référence n’était pas qu’entomologique », précise Georges Sadoul, historien du cinéma et compagnon des surréalistes, qui montre qu’elle répondait bien plutôt à la condamnation du roman prononcée par Breton en offrant « un assemblage de morceaux de réalité objective ». Dès lors, estime l’essayiste, « L’Âge d’or n’était donc en rien un ciné-roman mais sa négation : un ciné-poème ».[3]

En quête du merveilleux moderne, des surréalistes comme Desnos voient dans le film documentaire « des mondes nouveaux et de modernes féeries »[4] et, pour un écrivain comme Cendrars, la concentration offerte par le documentaire peut même créer des récits fascinants : « À l’accéléré la vie des fleurs est shakespearienne ».[5]

Dans les années 1930, notons enfin que l’éloge et la réutilisation de l’image documentaire (orteils de Boiffard, photogrammes de documentaires animaliers de Painlevé) par des auteurs comme Georges Bataille, dans la revue Documents nourrissent une veine alternative du surréalisme rejetant les « subterfuges » poétiques idéalistes du mouvement.

 

[1] Le texte est disponible sur le site de la cinémathèque suisse.
[2] Conférence « Autour du Ballet mécanique » 1924-25, Fonctions de la peinture, Denoël (Médiations), 1984, p. 167.
[3] L’ensemble de ces citations est tiré de « souvenir d’un témoin » de Georges Sadoul, dans le numéro d’Études cinématographiques n° 38-39 (1er trimestre 1965) : surréalisme et cinéma, sous la direction d’Yves Kovacs, pp. 26-27.
[4] Robert Desnos, Journal littéraire, 18 avril 1925, repris dans Les Rayons et les ombres, Paris, Gallimard, 1992, p. 67.
[5] Blaise Cendrars, L’ABC du cinéma (1917 et 1921) repris dans Aujourd’hui, Paris, Grasset, 1931.

 

Pistes bibliographiques 
Florence Riou, « Jean Painlevé : de la science à la fiction scientifique », Conserveries mémorielles, n° 6, 2009.
Frédérique Calcagno-Tristant, « Jean Painlevé et le cinéma animalier », Communication, vol. 24/1, 2005.
Alain et Odette Virmaux, Les Surréalistes et le cinéma [1976], Paris, Ramsay, 1988.
Corinne Maury, Habiter le monde: figures poétiques dans le cinéma du réel, Crisnée, Yellow Now, 2008.
Guy Gauthier, Le Documentaire, un autre cinéma, Paris, Nathan, 1997.
Nadja Cohen