Expositions
31. Insertion et modulation sonore
Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930
La documentation sonore en poésie: comment insérer le son dans le texte
Avec Paul van Ostaijen, Gaston Burssens est une des figures majeures de l’expressionnisme formel dans la littérature de langue néerlandaise. Publié en 1935, French en andere Cancan (French et autres Cancan) correspond à l’apogée d’une poétique moderniste dans laquelle le son et la musicalité sont au premier plan. Dans ce recueil poétique, Burssens explore et repousse les frontières entre le texte et le son. D’un côté, il essaie de représenter la part textuelle du paysage sonore de sa journée. De l’autre, ses expériences typographiques contribuent à la modulation de ces sons issus du monde réel, comme à la synthèse d’une dimension sonore inédite.
La page de couverture est ornée de la silhouette d’une actrice, danseuse ou chanteuse, dont la bouche et les joues rouges sont prééminentes. Ce visage est accompagné d’un gramophone et d’un lys. Ces trois images, tout comme la police de caractères Fraktur et le nom de l’auteur en écriture cursive, révèlent un ensemble d’éléments essentiellement hétérogènes qui fait réfléchir le lecteur à la relation entre le son et l’imprimé. Cette surprenante couverture fonctionne comme une mise en abyme de l’ensemble du recueil. Qu’est-ce qu’est censé nous faire entendre ce volume et comment doit-on le lire ?
Sur un plan thématique, la qualité sonore du recueil saute aux yeux. Les poèmes sont emplis d’instruments de musique comme des percussions, des cornemuses, des flûtes et des références à la danse et à la musique en général : « Cancan », « French Cancan », « Berceuse », « Rondo Finale », « Old Song », « Despair in G-minor », etc. Sur cette toile de fond, le son des voitures, le grognement d’un cochon, le tintement d’une cloche, le chant et le cri des oiseaux et des corbeaux, les sanglots des singes et le bourdonnement des insectes sont représentés. On remarque des yodels chantés aussi bien que le silence d’un poisson dans un aquarium. Pourtant le territoire de l’écrit à travers lequel le lecteur a accès à cette documentation sonore du monde réel est caractérisé par de nombreux éléments visuels qui poussent encore plus loin la dimension sonore du texte.
Sur un plan typographique, Burssens explore une myriade de polices de caractères de différents formats. Même si la deuxième section de ce recueil qui en comporte trois fait preuve d’une certaine standardisation, la différentiation et l’usage apparemment déstabilisant de la typographie atteignent même la table des matières à la fin du volume. Elle est ainsi incorporée au reste du volume plutôt qu’elle ne s’en différencie. On trouve des vignettes variées à la suite de la majorité des poèmes[1] et les cadres qui entourent le texte sont aussi divers que la typographie, les lettrines et les vignettes.[2]
Dans la majorité des cas pourtant, l’abondance visuelle module les signifiants de façon à ce que l’on ait l’impression que le poète a pris des caractères au hasard dans les caisses de l’imprimeur pour les jeter sur la page. Le lecteur s’interroge ainsi sur les conventions sur lesquelles repose la représentation visuelle du son. Ce genre d’habitudes interprétatives fait la lumière sur la fonction documentaire ou éducative des insertions de sons réels. Nous ne pouvons alors que reconsidérer la façon dont de tels sons aident à accorder notre lecture du recueil.
[1] Les armoiries belges, des fontaines et des cascades, des chérubins et des sirènes jouant de la trompette et du cor, des oiseaux anthropomorphes et des présentations complexes de figures allégoriques. Des lettrines contiennent des dioramas d’une femme qui regarde par la fenêtre, deux hommes discutant dans la rue, un homme à genou ou encore un paon.
[2] Certaines sont végétales et figuratives, avec des fleurs et des plantes, des chaînettes ou des ornements antiques, d’autres sont plus stylisées et faites de formes géométriques. Dans certains cas, ces éléments renforcent le caractère iconique, comme les affiches dans « a Message to the People », ou le poème intitulé « Portrait » qui est encadré comme un portrait réel.
Pistes bibliographiques
Gaston Burssens, French en andere Cancan, Wilrijk-Antwerpen, Avontuur, 1935.
Gaston Burssens, Gerrit Borgers, eds., Verzamelde dichtbundels, Den Haag, Bakker, 1970 (2 vol).
Hadermann, « De Modernistische doorbraak », in Van Arm Vlaanderen tot De voorstad groeit. De opbloei van de Vlaamse literatuur van Teirlinck-Stijns tot L.P. Boon (1888-1946), M. Rutten et J. Weisgerber, eds., Antwerpen, Standaard Uitgeverij, 1988, pp. 271-365.