Expositions

29. Agencement et composition

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Un poème entre compte-rendu et composition

 

Paul van Ostaijen, « Marc groet 's morgens de dingen » (Marc salue les choses le matin), De Driehoek, 1, 1925Le fameux poème de Paul van Ostaijen « Marc groet ‘s morgens de dingen » a d’abord été publié en avril 1925 dans De Driehoek, un périodique auquel le poète a un temps collaboré. Rédigé à la fin de 1924, ce poème était initialement un cadeau pour le petit garçon Marc Jespers[1]. Le Marc de van Ostaijen, qui semble s’exprimer exactement comme le garçon réel, parle d’une « manière douce » même si en réalité il aurait prononcé les mots différemment.[2] La brièveté du poème, son rythme reconnaissable et transparent, sa structure symétrique le rendent tout à fait accessible et facile à mémoriser : il est même souvent utilisé pour initier les enfants à la poésie.

Le titre donne l’idée générale du poème qui présente une liste des choses que Marc salue le matin. Il s’agit d’un petit homme, d’un vélo, d’un vase, d’une fleur, d’une chaise, d’une table, du pain, d’un pêcheur, d’une pipe, d’un chapeau et d’un poisson. Cette liste montre qu’il y a une énigme au cœur de ce texte : si les salutations matinales de Marc s’adressent aux choses, pourquoi y trouve-t-on des personnes comme le petit homme et le pêcheur? Jef Bogman estime que van Ostaijen ne se contente pas de capturer objectivement le point de vue d’un enfant, mais que le poème entrelace plusieurs niveaux de composition.[3] En faisant le lien, dans la perspective du jeune Marc, entre le poème de van Ostaijen et le travail de son père, Bogman distingue trois stratégies de composition. La première est celle des tableaux de Floris Jespers, telle qu’elle est interprétée par le petit garçon dont les paroles sont recueillies et poétisées par van Ostaijen. Plutôt que d’utiliser les mots de Marc comme un poème ready-made, il procède à de petits ajustements pour enrichir le poème en rimes, allitérations et assonances. Cette composition qui réorganise la réalité dans le poème est donc triple, elle est rendue possible par une forte proximité entre le style de Jespers, les observations de son fils et la poétique de Paul van Ostaijen lui-même. Aussi le poème met-il en avant les manières différentes et pourtant inextricables dont le réel peut envahir le royaume de la littérature, comme c’est souvent le cas chez les auteurs expérimentaux qui prêtent une attention particulière à la composition.

 

[1] Marc Jespers était le fils du peintre Floris Jespers, un ami proche de van Ostaijen. Dans une lettre non datée, l’artiste a écrit au poète qu’il a beaucoup aimé les vers qu’il a adressés au garçon. Même s’il affirmait de « rien connaître à la littérature », il a trouvé le texte très intéressant pour son usage enfantin du vocabulaire et sa rythmique générale.
[2] Gerrit Borgers, Paul van Ostaijen. Een documentatie 1, Amsterdam, Bert Bakker, 1971, p. 542.
[3] Jef Bogman, « Marc en de dingen ». En se basant sur les précisions données par la mère de Marc, Olympe Jespers, Bogman reconstruit les circonstances de la genèse du poème. Jespers avait l’habitude de prendre son fils sur ses genoux tous les matins pour l’écouter énumérer les choses qu’il voyait dans la pièce. Comme Jespers était un artiste, la pièce était souvent remplie de peinture. Quand van Ostaijen était invité à l’atelier pour écouter le garcon et prendre en note ce qu’il disait, il est très probable que le petit Marc parlait de ce qu’il voyait sur les toiles. Ceci pourrait expliquer par exemple l’objectivation du « petit homme » et du « pêcheur ». Les peintures qui ont pu être décrites par Marc sont Matroos met bloem (« Marin à la fleur»), Vaas met bloemen (« Vase avec fleurs »), Manneke met de pijp (« Petit homme avec une pipe »), De fietser (« Le Cycliste ») et Stilleven met vis (« Nature morte au poisson»). Que ces peintures soient en effet celles que Marc Jespers a examinées reste à prouver, mais l’interprétation de Bogman est intéressante en elle-même.

 

Pistes bibliographiques 
Gerrit Borgers, Paul van Ostaijen. Een documentatie 1,Amsterdam, Bert Bakker, 1971.
Geert Buelens, Georges Wildemeersch, Dirk Aerts & Marc Somers, Paul van Ostaijen. 1896-1928. Wegwijzers naar de werkelikheid, Antwerpen, Pandora, 1996.
Jef Bogman, « Marc en de dingen », in Literatuur zonder leeftijd. Jaargang 22, Biblion Uitgeverij, Leidschendam, 2008, pp. 42-47.

 

Tom Willaert