Expositions

25. International et plurimédial

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Le magazine d’avant-garde quadrilingue i 10 offre une profonde expérience plurimédiale : il couvre différents médias et genres, allant de l’architecture à la publicité en passant par la peinture, le cinéma et la photographie, sans oublier la littérature

 

Internationale Revue i 10, Amsterdam, 1927-1929. Couverture et maquette tirées du reprint édité par Arthur Lehning, Nendeln, Kraus Reprint, 1979 (D.R.)Internationale Revue i 10 (abrégée i 10) est une revue d’avant-garde publiée à Amsterdam de 1927 à 1929, sous la direction d’Arthur Lehning. Elle se voulait une plateforme européenne pour « toutes les manifestations de l’esprit moderne » et « toutes les directions essentiellement nouvelles dans les champs de l’art, de la science, de la philosophie et de la sociologie » (voir le texte intégral). i 10 était particulièrement intéressée par l’architecture constructiviste et fonctionnaliste dont les revues hollandaise De Stijl et allemande Bauhaus faisaient la promotion. L’implication active de figures comme J.J.P. Oud, Piet Mondriaan, Wassily Kandinski et László Moholy-Nagy rendait cet intérêt visible. La revue publiait en outre des contributions de grands « esprits modernes » aussi variés que Kurt Schwitters, Ilja Ehrenburg, Walter Benjamin, Ernst Bloch, Menno Ter Braak et bien d’autres.

Dès le début, il y eut de nombreuses spéculations à propos de l’énigme constituée par le nom de la revue. Avec le temps, Arthur Lehning a fourni des indices pour son interprétation : « i 10 » signifierait « Dixième Internationale ». Dans l’introduction d’un reprint d’i 10 publié en 1979, l’ancien directeur se souvient que c’est Lucia Moholy qui a proposé le nom, en réponse à la grande diversité de points de vue qui coexistaient dans le projet. Le sous-titre allemand « 10. International » peut être retrouvé sur l’une des versions d’essais de la couverture, qui a été dessinée par László Moholy-Nagy, qui enseignait à cette époque au Bauhaus et s’occupait des sections cinéma et photographie dans i 10. Le nom « i 10 » renvoie aussi à l’ambition internationale de la revue dans laquelle à côté des textes en néerlandais se trouvent des textes en allemand, en français et en anglais. En référence à la Troisième Internationale (communiste), le titre reflète également les fortes tendances politiques et sociales d’i 10. Celles-ci sont manifestes, par exemple, dans de multiples contributions sur l’art et la vie en Union soviétique, ainsi que dans de nombreux articles sur l’intégration de l’art dans la vie quotidienne (occidentale). On peut citer l’article « Huisvrouwen en architecten » (femmes au foyer et architectes) de l’architecte Oud ou les réflexions de Vilmos Huszar dans « De reclame als beeldende kunst » (la publicité comme art) qui inclut des exemples.

Pourtant, il semble que les éditeurs ont délibérément omis la référence à la « Dixième Internationale » (et donc l’explication du titre) dans la couverture définitive. Il est à noter que, dans une préface à la deuxième série de la revue (1928), Lehning déclare même qu’« i 10 » ne signifie rien de particulier, qu’il s’agit juste d’une combinaison d’une lettre et d’un chiffre. L’accent mis sur la matérialité du signe se situe plus généralement dans la sensibilité d’i 10 et son goût pour la dimension matérielle, technique et médiale des différentes formes et disciplines artistiques. De nombreux articles cherchent à définir les formes artistiques les unes par rapport aux autres et par rapport à leurs positions dans un écosystème médiatique plus large, incluant les « nouveaux » médias comme le cinéma. Le tout premier numéro est un bon exemple parce qu’il contient un texte de Kandinsky qui plaide pour un art synthétique (« Synthetische Kunst ») basé sur les formes nouvelles de la peinture abstraite, ainsi qu’un texte de Moholy-Nagy qui, de son côté, affirme la spécificité de la photographie et du cinéma vis-à-vis de la peinture, sur la base de leurs différences médiatiques et technologiques (« Geradlinigkeit des Geistes. Umwege der Technik » Le caractère direct de l’esprit. Les détours de la technique). Aussi la revue i 10 n’offre-t-elle pas seulement une expérience internationale mais aussi une expérience profondément plurimédiale. La revue propose aussi une réflexion plus large sur les relations entre les différents arts et médias.

 

Pistes bibliographiques
Arthur Lehning, ed., Internationale Revue i10 1927-1929 [Reprint], Nendeln, Kraus Reprint, 1979.
Kees van Wijk, Internationale Revue i10, Utrecht, Reflex, 1980.
Toke van Elmond, ed., i10. Sporen van avant-garde, Heerlen, ABP, 1994.

 

Pieter Verstraeten