Expositions
23. Revue belge
Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930
La juxtaposition surréaliste : la photographie au-delà du document
Le 15 mai 1928 Paul-Gustave Van Hecke, promoteur des avant-gardes belges, lança une nouvelle revue, Variétés, Revue Mensuelle Illustrée de l’esprit contemporain. La revue fut publiée mensuellement jusqu’à ce que la crise financière de 1930 finisse de balayer la maison de haute couture Norine qui était sa seule source de revenu.
Richement illustré et couvrant des sujets aussi divers que le cinéma, les cocktails, la poésie, Miss Belgique ou le regard enfantin (« notre œil puéril »), le premier numéro de Variétés correspond bien à ce que son titre promet : un panorama dynamique de la vie contemporaine. Mais tandis qu’à première vue, la revue peut apparaître comme une célébration du modernisme, elle développe, à y regarder de plus près, une attitude plus ambiguë et parfois même anti-moderne. Cette dualité est celle du principal animateur du magazine, P.G. Van Hecke, chez qui cohabitent en douceur le mode de vie d’un dandy cosmopolite et une passion pour l’authenticité rurale. L’entrepreneur de haute couture est devenu un ardent défenseur de l’expressionnisme flamand qu’il promeut dans sa galerie et dans sa revue Sélection. Avant la fin des années 1920, Van Hecke évolue vers le surréalisme, perçu comme la continuation logique du projet expressionniste. Ainsi, à l’exception du numéro spécial Le Surréalisme en 1929, édité par André Breton et Louis Aragon, Variétés n’est jamais devenu officiellement une revue surréaliste. Elle a plutôt mis en avant une forme déviante du surréalisme, une variante plus à la mode avec un accent mis davantage sur une sensibilité du « Nord » qui s’oppose au « surréalisme latin » de Breton.
L’affinité avec le surréalisme n’est nulle part développée autant que dans les juxtapositions ludiques et parfois énigmatiques des images et des textes. Comme membre de la rédaction de Variétés, le surréaliste E.L.T. Mesens a joué un grand rôle dans la richesse visuelle de la revue. Même si de nombreux dessins servent d’illustrations, c’est surtout la photographie qui a rendu la revue visuellement attractive. Variétés a présenté des échantillons des pratiques photographiques de l’entre-deux-guerres en jouant à juxtaposer des publicités, des expérimentations en chambre noire, des collages, des photographies trouvées, des portraits classiques, des photos documentaires et des reproductions photographiques d’œuvres d’art. Dans les pages de Variétés, les photographes anonymes étaient placés aux côtés de figures clés de la photographie moderniste comme Man Ray ou Germaine Krull. La revue a ainsi souligné la versabilité du médium en présentant des photographies qui étaient à la fois des fenêtres transparentes sur le monde et des constructions opaques ou hautement artificielles. En jouant avec toutes ces strates de sens photographiques, Variétés a offert aux lecteurs/regardeurs une expérience à plusieurs niveaux, où dans les brèches de la couverture d’un mode de vie luxueux surgissent de mystérieuses rencontres.
Pistes bibliographiques
Ann Paenhuysen, « Fashionable Surrealism. An International Phenomenon in a Local Context », in Patricia Allmer & Hilde Van Gelder, eds, Collective Inventions. (http://www.lievengevaertcentre.be/collective_inventions/authors.htm) Surrealism in Belgium, Lieven Gevaert Series, vol. 5, Leuven, Leuven University Press, 2007, pp. 32-47.
Paul Delsemme, « Variétés (1928-1930), une revue éclectique », in Robert Frickx, ed., Les Relations littéraires franco-belges de 1914 à 1940, Brussels, VUB Press, 1990, pp. 129-145.
Hal Foster, Compulsive Beauty, October Books, Cambridge-London, MIT Press, 1995 (en particulier pp. 138-156).