Expositions

03. Radio et littérature

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Interactions littéraires avec la radio dans les années 1930 : de l’enregistrement documentaire à un principe poétique

 

Publicité pour la radio Philips, 1930-1931 (source : ReclameArsenaal)Cette affiche du début des années 1930 pour la radio Philips, qui était sans doute visible dans la rue ou dans les transports en commun, fait de la publicité pour les radios de la compagnie et pour les retransmissions radiophoniques internationales qui étaient produites à Amsterdam entre 1927 et 1940. Le double sens de lecture du nom (« Radio Philips » et « Philips Radio ») indique le plurilinguisme de ses émissions en anglais, en espagnol, en néerlandais et en allemand pour les ondes courtes, tandis que l’image suggère l’enthousiasme et l’attrait pour la radio : les ondes radiophoniques tournent autour de la terre jusque dans les étoiles. L’évocation de cet espace extérieur pour visualiser l’ « espace » auditif de la puissance invisible de la radio fait écho à l’intérêt de beaucoup d’écrivains de la période pour l’internationalisation et les médias.

Dans les années 1930, avant la domination de la télévision, la radio était au sommet de sa popularité et jouissait d’une omniprésence auditive, avec des millions d’auditeurs de tous les milieux sociaux. Aussi les écrivains ont-ils utilisé ce média de masse de façon créative, en élaborant des œuvres poétiques ou théâtrales spécifiquement pour la radio. Ils ont aussi laissé percevoir dans leurs textes la présence troublante du médium. Les textes de nombreux auteurs des années 1930 reflètent les paradoxes de la radio : les distances réduites, les voix à la fois privées et publiques, la culture d’élite et l’attrait des masses, les ondes radio invisibles mais pourtant pleinement entendues. En outre, le caractère transfrontalier et l’impact international de la radio offraient aux écrivains un modèle poétique qui n’était attaché à aucune identité nationale.

Pendant cette décennie, beaucoup d’écrivains européens de premier plan sont apparus à la radio ou ont fait l’expérience d’œuvres radiophoniques : T.S. Eliot, Ezra Pound, W.H. Auden, Archibald MacLeish, Aldous Huxley, Christopher Isherwood, Louis MacNeice; Virginia Woolf et d’autres membres du Bloomsbury group; Rafael Alberti et Miguel Hernández ainsi que beaucoup d’autres écrivains républicains espagnols; Robert Desnos et Antonin Artaud ainsi que d’autres surréalistes. En Italie et en Allemagne, où la radio était fortement liée aux régimes fascistes, les écrivains se sont quand même intéressés à ce médium dont ils ont discuté les usages. Par exemple les Deutsche Satiren de Bertolt Brecht ont été diffusées en exil sur la radio anti-fasciste « Radio allemande libre ». En même temps, la plupart des radios européennes programmaient des émissions spécialement faites pour diffuser la littérature et en débattre, comme « The Art of Reading » de Desmond McCarthy sur la BBC ou les lectures et émissions critiques de Germaine Blondin en France. En 1938, le poète Herbert Read écrivait au directeur de la BBC que « la radio a en son pouvoir de faire revivre la poésie comme art parlé ».[1]

Malgré l’importance des interactions littéraires avec la radio, les recherches sur la radio dans les années 1930 sont rendues complexes par le manque d’archives enregistrées et par un manque d’attention critique.[2] Pourtant, parce que la radio est un médium profondément oral, et que la littérature – particulièrement la poésie et le théâtre – est faite pour être entendue, il y a entre elles une affinité naturelle et elles gagnent à être étudiées ensemble. Les écrivains des années 1930 ont fait un grand usage de la radio pour diffuser, jouer et imprégner leurs œuvres. La radio apparaît comme le sujet d’œuvres littéraires et a influencé des formes génériques. Comme la publicité pour Philips le suggère, elle franchit les distances de façon invisible mais puissante et touche les productions des auteurs de la décennie.

 

[1] Jane Dowson, ed. Women’s Poetry of the 1930s: A Critical Anthology, London, Routledge, 1996, p. 175. Notre traduction.
[2] Edward C. Pease et Everette E. Dennis appellent la radio « le médium oublié » (Edward C. Pease et Everette E. Dennis, Radio: The Forgotten Medium, New Brunswick, NJ, Transaction Publishers, 1995, p. xv.), tandis que Deborah Cohen dit qu’elle « reste le médium invisible » (Debra Rae Cohen, Michael Coyle et Jane Lewty, eds., Broadcasting Modernism, Gainesville, FL, The University Press of Florida, 2009, p. 7.), qu’il est possible de ne pas voir tant il est à la fois voué à l’éphémère et envahissant.

 

Pistes bibliographiques
Debra Rae Cohen, Michael Coyle et Jane Lewty, eds., Broadcasting Modernism, Gainesville, FL, The University Press of Florida, 2009.
Todd Avery, Radio Modernism: Literature, Ethics, and the BBC, 1922-1938, Aldershot, Ashgate Publishing, 2006.
Alex Goody, « Media Technologies and Modern Culture », in Technology, Literature, and Culture, Cambridge, Polity Press, 2011.
Joelle Neulander, Programming National Identity: The Culture of Radio in 1930s France, Baton Rouge, LA, Louisiana State University Press, 2009.

 

Robin Vogelzang