Carnet de visites

Lise Deharme, la femme surréaliste

Musée de la Chalosse (Montfort en Chalosse, France) Commissaire(s): Adeline Mouly

 

La tenue d’une exposition littéraire au sein d’un musée d’ethnographie a, a priori, de quoi surprendre. Et pourtant, le MuCEM lui-même, héritier des collections nationales du feu musée des Arts et Traditions populaires fermé au public en 2005, n’a-t-il pas organisé en 2016 une exposition consacrée à Jean Genet puis en 2019-2020 une seconde sur l’écrivain Jean Giono ? C’est que les liens qui unissent les écrivains et écrivaines et leur territoire de prédilection sont exploités de longue date par les politiques culturelles. Qu’il s’agisse de revaloriser l’image d’une région ou de dynamiser un territoire rural, la littérature, grâce à sa puissance d’évocation, devient une ressource mobilisable par les établissements culturels pour se raconter autrement.  

De fait, au regard de l’exposition permanente du Musée de la Chalosse, installée sur un ancien domaine rural et consacrée aux paysages, cultures et modes de vie des anciens habitants de ce petit territoire agricole, l’exposition temporaire consacrée à Lise Deharme apparaît comme un pas de côté. Mais le fil n’est pas si ténu que cela et l’évocation de cette artiste dans ce coin des Landes s’explique par sa longue présence dans le petit village de de Montfort-en-Chalosse. Née en 1898 en région parisienne, son père acquiert en effet en 1903 la villa de Montfleury dans laquelle elle reviendra tout au long de sa vie et qu’elle tentera même de léguer à la commune durant ses dernières années, charge à celle-ci d’en faire un centre culturel dédié au Surréalisme. Ce projet ne verra finalement pas le jour et la demeure est vendue par Lise Deharme elle-même quelques mois avant son décès en 1980. Le lien avec les Landes n’est pour autant pas rompu : le village lui dédie un chemin en 2008 et entre 2004 et 2021 les archives départementales de Mont-de-Marsan constituent progressivement un fonds Lise Deharme en achetant des documents de travail (manuscrits) ainsi que des archives personnelles (photographies, correspondances) à Dominique Daguet, secrétaire de Lise Deharme. C’est notamment à partir de ces nombreuses ressources qu’est construite l’exposition. 

À la rencontre du cercle des amis montfortois et des artistes surréalistes 

Artiste singulière, muse et mécène, Lise Deharme est progressivement tombée dans l’oubli à partir des années 1970 et il faut donc attendre le centenaire du Manifeste du Surréalisme pour que celle-ci soit redécouverte. La « Dame au gant » d’André Breton, poétesse, romancière et chroniqueuse, est ainsi l’objet d’une biographie récemment rédigée par Nicolas Perge et éditée sous le titre Lise Deharme, cygne noir chez Jean-Claude Lattès. Ces éléments biographiques sont au cœur de cette exposition. Pour autant, le parcours muséographique n’est en rien chronologique ou linéaire. Celui-ci se déploie en trois grandes sections (1. Lise Deharme, une vie Montfortoise, 2. Le Manifeste du surréalisme 100 ans 1924-2024, 3. Les femmes surréalistes), elles-mêmes scandées par des unités expographiques plus ou moins indépendantes construites autour des artistes passés par Montfleury et dont témoignent notamment quelques clichés de Man Ray pris à l’été 1935 et aujourd’hui conservés à la bibliothèque Kandinsky du Centre Pompidou. La scénographie est relativement sobre et cherche surtout à mettre en valeur les objets présentés : aux espaces dédiés à la vie montfortoise de Lise Deharme, où dominent la couleur verte et les supports en pin des Landes, rappelant ainsi la nature toute proche, succèdent des pièces non cloisonnées où le gris des cimaises n’est pas sans évoquer l’intérieur feutré d’un espace de travail, comme en atteste d’ailleurs la reconstitution du bureau de la romancière faite grâce au mobilier conservé par le musée. 

C’est donc à travers les séjours de Lise au cœur des Landes que l’exposition retrace sa vie. L’entrée en matière se fait par une présentation de la maison de Montfleury et sur la façon dont l’écrivaine l’envisage durant l’entre-deux-guerres puis après la Seconde Guerre mondiale comme une extension de son salon parisien en y recevant ses amis. Cette première section s’appuie sur des documents photographiques, reproduits en grand format, encadrés et accrochés au mur ou numérisés et défilant sur un écran, mais aussi sur des témoignages écrits de ces amis Monfortois, telle sa correspondance avec Marie Duluc, l’institutrice du village passionnée de sciences occultes, ou encore des reproductions de périodiques anciens relatant les différentes mondanités prenant place dans cette grande demeure et animant le village durant l’été. 

C’est dans la seconde section que le visiteur découvre la dimension littéraire, et plus largement artistique, de Lise Deharme. Après un rappel du Manifeste, André Breton est mis à l’honneur par l’évocation de sa rencontre avec cette femme qui l’étonne et le subjugue. La présence d’une de ses sculptures, intitulée Gant de femme en bronze, rappelle celui en daim bleu que Lise lui offre lors de leur rencontre au Bureau de recherches surréalistes et qui deviendra l’emblème du mouvement. Posés sur une estrade, le bureau de Lise, où repose un exemplaire de Nadja, et son armoire, décorée par le sculpteur Alphonse Benquet, permet de figurer tout à la fois le fondateur du Surréalisme mais aussi l’art brut et les artistes landais que celle-ci fréquentait. La suite de la section tient du bottin mondain artistique : Robert Desnos, Paul Eluard, Man Ray, Jean Cocteau, Antonin Artaud, Joan Miró, etc., autant d’artistes reçus régulièrement à Montfort-en-Chalosse et évoqués par de larges panneaux, des œuvres picturales, des dédicaces à Lise ou encore des photographies qui témoignent de la liberté créatrice du groupe. 

La troisième section, enfin, est spécifiquement consacrée aux femmes surréalistes, à leur influence sur le mouvement mais aussi à leur création. Il s’agit, pour les responsables de l’exposition, de redonner leur véritable place à ces artistes dont les commentaires se sont souvent limités à mettre en avant leur rôle de muses ou d’amantes. Claude Cahun, Dora Maar, Valentine Hugo, Léonor Fini, Maria Martins ou encore Aube Elléouët-Breton, autant de femmes mises en avant par une présentation de leurs travaux (œuvres graphiques, photographies, collages, etc.) mais aussi de leurs liens avec Lise qui, toutes, les a connues et encouragées. Les photographies ou portraits de Lise que celles-ci ont eu l’occasion de réaliser donnent une épaisseur à l’héroïne de l’exposition, tout en la replaçant dans un mouvement où de nombreuses femmes furent actives sans être vraiment reconnues. 

Des outils de médiation du texte au-delà du texte 

Comme dans toute exposition consacrée au patrimoine littéraire, le texte est omniprésent. Les expôts authentiques – manuscrits de poèmes, correspondances, éditions anciennes et dédicaces, cartons d’invitation, etc. – sont doublés d’objets textuels médiateurs telles ces transcriptions d’extraits de l’œuvre écrite de Lise Deharme. Titres des sections, grands panneaux explicatifs, cartels de description des objets présentés, fac-similés de publications, etc. : ces multiples formes textuelles accompagnent le visiteur dans sa découverte de la personnalité de l’autrice et plus largement du Surréalisme et de son influence dans le monde de l’art tout au long du XXe siècle. 

Mais les outils de médiation imaginés débordent de ces textes didactiques destinés à première vue à des adultes soucieux de mieux connaître cette femme de lettre. Soulignons à cet égard la présence d’un parcours jeune public dédié aux enfants lecteurs de huit à douze ans environ. Déjà lecteurs mais éprouvant sans aucun doute encore quelques difficultés à lire des textes complexes, ces derniers peuvent suivre l’ensemble de l’exposition en suivant les 13 panneaux situés à leur taille et reconnaissables par la présence d’une carte de pique. Ce signe rappelle le célèbre cliché Lise Deharme en Dame de pique réalisé par Man Ray en 1935, présenté dans l’exposition et aujourd’hui conservé au Musée Français de la Carte à Jouer d’Issy-les-Moulineaux. Ces petits textes simples et concis sont écrits à la première personne : c’est Lise elle-même qui se raconte aux enfants et leur dévoile progressivement son histoire, leur présente ses amis ou leur donne quelques clés de lecture des objets exposées. Parfois ces textes essentiellement informatifs adoptent un registre injonctif qui incite le jeune visiteur à mieux observer les œuvres qui l’entourent (« Combien as-tu vu d’animaux au total ? ») ou même à construire son propre cadavre exquis grâce à un panneau aimanté qui permet de créer des collages éphémères de textes et d’images. Enfin, des outils d’écoute (ancien téléphone reconditionné, casques audio disponibles à proximité d’un accueillant canapé) enrichissent l’expérience en offrant aux visiteurs la possibilité de découvrir des textes par le truchement non pas de la lecture mais du son. 

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Aux termes de cette rapide présentation, on ne peut que souligner la richesse de cette exposition, tant en terme d’œuvres – dont témoignent d’ailleurs le nombre d’institutions remerciées (Archives départementales des Landes, Musée des Beaux-arts de Nantes, Centre Pompidou, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, etc.) – que de contenus abordés (la vie d’une femme artiste au XXe siècle, le Surréalisme, la reconnaissance des femmes par les mouvements artistiques, etc.) ou d’outils de médiation proposés, qualité qui n’est pas réservée aux grandes institutions nationales… 

Jessica de Bideran 

Université Bordeaux Montaigne 

 

Pour aller plus loin sur le site des RIMELL : 

 

Émilie Frémond, « L’Invention du surréalisme, des Champs magnétiques à Nadja (Paris) », dans L’Exporateur. Carnet de visites, Aug 2024. 

URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/linvention-du-surrealisme-des-champs-magnetiques-a-nadja-paris/  

 

Marie-Paule Berranger, « Labyrinthes du désir libre », dans L’Exporateur. Carnet de visites, Mai 2023. 

URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/labyrinthes-du-desir-libre/ 

 

David Martens, « Éclats éclectiques de Nadja », dans L’Exporateur. Carnet de visites, Oct 2022. 

URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/eclats-eclectiques-de-nadja/ 


Pour citer cet article:

Jessica de Bideran, « Lise Deharme, la femme surréaliste », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Oct 2024.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/lise-deharme-la-femme-surrealiste/, page consultée le 07/10/2024.