Expositions
20. Portrait d’une ville
Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930
Documentation littéraire et photographique : quand un écrivain et un photographe cherchent à créer ensemble le portrait d’une ville
En 1935, la photographe allemande basée à Paris Germaine Krull est connue pour son travail sur l’architecture industrielle (Métal publié en 1927) quand elle réalise une série sur le « Pont Transbordeur » de Marseille. André Suarès est un écrivain reconnu originaire de Marseille. Il rédige une courte préface à Marseille dans laquelle il loue la « bonhomie » et l’optimisme de cette ville méditerranéenne mythique. Il rédige aussi les légendes des photographies et même deux pages de « légendes sans images ». Certaines d’entre elles tendent au lyrisme[1], tandis que d’autres visent la synthèse de la ville, par exemple : « Porte de l’Orient, façade vive de l’Occident, entrée Sud de l’isthme qui finit au Nord dans la brume ». Le livre contient de nombreuses photographies des rues populeuses et étroites du centre ville. On montre surtout des gens, en particulier des sans-abris. Enfin, l’auteur se plaît à personnifier la ville : la célèbre Cannebière, accablée de chaleur, plonge dans la mer et l’église de la « Bonne mère » appelle les habitants à l’heure du repas.
Depuis le grand succès de Paris de nuit de Brassaï et Paul Morand (1933), ce genre de livre est devenu très à la mode en France. Plon a cherché à jouer de cette vogue avec la collection « Éditions d’histoire et d’art » qui voit paraître par exemple Ce vieux quartier latin (1936), L’Angleterre et l’Empire britannique (1938) ou La Fortune de la France (1937). La popularité des livres photographiques sur les villes fait toutefois partie d’un phénomène plus large qui touche l’Europe et les États-Unis. Dans les années 1930, on assiste en effet à un mouvement de rejet de la retouche et de la photographie pictorialiste de la part de photographes qui commencent à utiliser leur appareil de façon directe et rigoureuse. La photographie pure n’est plus seulement un style mais aussi une morale qui rend possible un enregistrement prétendument fidèle de la vie. Dans ces années, la capacité de la photographie à documenter visuellement le monde apparaît aussi dans les magazines illustrés comme VU en France (1928), LIFE (1936) et Look (1937) aux Etats-Unis, ou Picture Post (1938) en Grande-Bretagne. Au cours de cet « âge d’or » de la photographie documentaire, ces magazines ont aussi renforcé le sous-genre émergent de l’essai photographique, qui a exercé une grande influence sur les livres photographiques. Beaucoup de livres photographiques sur les villes (ou sur les gens, une autre importante variation) ont utilisé le lien profond qui unit l’image photographique et le monde de l’écrit et ont conçu la forme nouvelle qui allait connaître un grand succès vingt ans plus tard, après la guerre (voir par exemple la collection « Petite planète » au Seuil en France, ou La Guilde du livre à Lausanne. Les collaborations entre photographes et écrivains ont ainsi souvent été fécondes. Néanmoins, des ouvrages comme Marseille ou comme le plus célèbre Let us now Praise Famous Men (Walker Evans et James Agee, 1936-1941) montrent que dans ce type de collaboration, l’équilibre attendu entre la rhétorique des images et la rhétorique du texte est loin d’être évident et qu’il est bien souvent difficile de l’atteindre.
[1] Par exemple, face à des photographies du port : « Je rêve de partir et d’être ailleurs. Je suis femme, je suis homme. Je dis adieu ».
Pistes bibliographiques
Danielle Leenaerts, « La ville à travers l’objectif du photographe. Le cas de Paris de nuit, de Brassaï (1932) », in Les Villes capitales. 13th Annual Graduate Conference in French and Francophone Studies, Providence, Brown University, 2005, en ligne.
Martin Parr & Gerry Badger, The Photobook: A History, 2 vols. London, New York, Phaidon, 2004.
Steven Humblet, ed., « Picturing the Dynamic City – on Changing New York ». Cahier 01, The Photographic Image in Print, Brussels, Sint-Lukas Brussels University, 2009.
Susana S. Martins & Anne Reverseau