Expositions

15. Reportage

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Le texte comme document : le reportage comme nouvelle forme documentaire

 

Egon Erwin Kisch, Zuřivy Reporter, Praha, Pokrok, 1929. Couverture dessinée par Umbo (D.R.). Photobibliothek.ch Communément connu sous le surnom de « reporter enragé » , du nom de son recueil de reportages le plus célèbre, Egon Erwin Kisch (1885-1948) est devenu un exemple type dans le champ du reportage envisagé comme un genre littéraire moderne. Qu’on utilise le terme de « reportage littéraire », qui est d’origine européenne, ou celui de « journalisme littéraire » d’origine anglo-américaine, tous deux se réfèrent au même genre cosmopolite de la « littérature de reportage » qui pourrait être définie comme « une forme plus liée à la culture que la littérature et plus sensible politiquement que le journalisme »[1].

Kisch, écrivain juif allemand né à Prague, possédait le talent d’observer et de documenter tous les aspects de la vie et était considéré comme un des représentants de la Nouvelle Objectivité, un mouvement artistique qui a pris sa source sous la République de Weimar (1919-1933) en art et en architecture. Après la Première Guerre mondiale, ce mouvement a poussé la littérature d’avant-garde sur le devant de la scène et se caractérisait par une emphase documentaire sur le factuel plus que sur la forme. Son but était d’atteindre l’authenticité.

Véritable journaliste d’investigation avant la lettre, Kisch plaçait les réalités sociales, surtout marginales, au centre de son travail. Il donnait forme à sa matière par un travail de sélection et de recherche ainsi qu’un humour léger. Son personnage public était celui du journaliste inépuisable qui prenait des notes et récoltait des anecdotes lors de ses voyages autour du globe. Cependant, point n’est besoin de voyager loin pour découvrir des choses dignes d’être consignées, comme on peut le lire dans l’introduction à Der rasende Reporter (le reporter enragé, 1924) : « Rien n’est plus stupéfiant que la simple vérité, rien n’est plus exotique que le monde autour de nous, rien de plus fantastique que l’objectivité ».[2]

La croyance de Kisch dans le reportage pourrait être résumée en quelques courtes propositions : les reporters ne devraient rien avoir à justifier. Les reporters ne devraient pas avoir de point de vue. Les reporters devraient être des témoins impartiaux. Et les reporters devraient fournir des témoignages aussi directs que possible. Ces principes vont dans le sens d’une foi dans la capacité de la littérature à susciter des documents qui garderont la trace des changements dans l’histoire d’une société. Alors que ses premiers textes traitaient de sujets et de milieux parfois étranges où se nichait un intérêt bourgeois pour les réalités sociales extérieures, le travail plus tardif de Kisch relève plus explicitement d’une critique sociale de type marxiste qui ne peut plus se définir comme une simple quête d’objectivité, puisque qu’elle vise à changer la société. En mêlant esprit et ironie à la critique sociale, Kisch a renforcé la forme objective de ses reportages journalistiques et a ainsi réussi à rester connecté au rythme d’un monde moderne complexe.

Parmi les auteurs apparentés tant dans la lettre que dans l’esprit, on peut citer Joseph Roth, Vicki Baum et Sergei Tretiakov. En tant que membre du parti communiste, Kisch a joué un rôle actif dans la révolution qui a suivi la Première Guerre mondiale. Ses sympathies communistes lui ont immédiatement valu d’être détenu puis expulsé par les nazis en 1933. Il a alors vécu en exil jusqu’en 1946.

 

[1] Voir l’introduction de John S. Bak au volume Literary Journalism across the Globe. Journalistic Traditions and Transnational Influences, éd. John S. Bak et Bill Reynolds, University of Massachusetts Press, 2011, p. 7. Notre traduction en français.
[2] « Nichts ist verblüffender als die einfache Wahrheit, nichts ist exotischer als unsere Umwelt, nichts ist phantasievoller als die Sachlichkeit. Und nichts Sensationelleres gibt es in der Welt, als die Zeit, in der man lebt! » (Egon Erwin Kisch: Der rasende Reporter. Berlin 1924, Vorwort; zitiert nach der Neuausgabe: Köln 1983, S. 10). Notre traduction en français.

 

Pistes bibliographiques
Harold B. Segel, ed., Egon Erwin Kisch, the Raging Reporter: a Bio-Anthology, Purdue University Press, 1997.
Ingo R. Stoehr, German literature of the twentieth century: From aestheticism to postmodernism, Rochester, NY, Camden House, 2001.

 

 

Thijs Festjens