Expositions

14. Voyages heureux

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

Les voyages de Comisso produisent différents documents littéraires, des mémoires aux reportages en passant par les récits romancés

 

Giovanni Comisso, Cina-Giappone, Treves-Treccani, Tumminelli, 1932. Début du chapitre « Tempio del cielo » et photo correspondante « Prete taoista » (avec l’aimable autorisation de l’Associazione Amici di Comisso. L’œuvre de Giovanni Comisso est intimement liée au récit de voyage et au journalisme. Sa nature documentaire se manifeste à travers des fragments reflétant les différentes étapes des voyages que l’auteur fit pour le compte des quotidiens de son époque. Mais là où le caractère journalistique sanctionne la véridicité des textes de Comisso, ceux-ci étalent un impressionnisme sensuel, objectivant, voire exotique, qui assure leur caractère littéraire et apolitique tout en satisfaisant le goût d’évasion de l’Italie fasciste.

À partir de la fin des années vingt, Comisso mise sur le genre du témoignage. Outre ses mémoires de guerre,[1] il publie des recueils basés sur ses reportages de voyage : Questa è Parigi,[2] Cina-Giappone,[3] L’Italiano errante per l’Italia.[4] Dans son autobiographie[5] comme dans ses recueils plus tardifs (Viaggi felici[6] et Sicilia / Sicile[7]), il reviendra sur d’autres reportages effectués pendant les années trente (au Maghreb, en Europe du Nord, en Russie, en Afrique orientale italienne et en Italie du Sud), même si les modifications par rapport aux reportages originaux traduisent parfois une certaine réserve (comme Morand, link 16). Dans ce contexte, il est frappant que Comisso ne reviendra jamais sur sa mission de propagande de 1939 en Libye et qu’en 1949 il publie Amori d’Oriente,[8] un livre érotisant basé sur le voyage en Asie orientale de 1930, dont il avait regretté le conformisme de la première version du récit.

Stylistiquement, la prose de Comisso se distingue par l’absence presque totale de réflexion, de commentaire et même de narrativité. L’impression qui en émane est celle d’une série de photos, prises avec l’appareil que ce journaliste-écrivain spontané, capricieux et excentrique portait toujours avec lui. Pourtant, la virtuosité descriptive de Comisso sert à évoquer des réalités fascinantes mais stéréotypées : le côté mondain un peu décadent de Paris, la singularité des peuples étrangers (japonais et anglais, chinois et hollandais, allemand et arabe) ou la simplicité rude et archaïque de la Sicile profonde. Malgré leur gratuité attrayante, ou peut-être à cause d’elle, les tableaux ainsi esquissés présentent de nombreux points aveugles. Ils montrent, sans expliquer ; parfois ils jugent, mais sans prouver. Ce sont des documents, dont l’utilisation dépend du lecteur.

 

[1] Giorni di guerra [jours de guerre], Milano, Mondadori, 1930.
[2] [voici Paris], Milano, Ceschina, 1931.
[3] [Chine-Japon], Treves-Treccani-Tumminelli, 1932.
[4] [l’Italien errant à travers l’Italie], Firenze, Parenti, 1937.
[5] Le mie stagioni [mes saisons], Milano, Garzanti, 1951.
[6] [voyages heureux], Milano, Garzanti, 1949.
[7] Genève, Cailler, 1953 (le recueil est édité en deux langues : italien et français).
[8] [amours d’Orient], Milano, Longanesi, 1949.

 

Pistes bibliographiques 
Anna Modena, L’Intelligenza segreta. Comisso tra amici, librai e poeti, Macerata, Biblohaus, 2012.
Nico Naldini, Vita di Giovanni Comisso, Napoli, L’ancora del Mediterraneo, 2002.
Luigi Urettini, Giovanni Comisso. Un provinciale in fuga, Verona, Caselle di Sommacampagna, 2009.

 

Koenraad Du Pont