Carnet de visites

Babioles & trésors. La face cachée de la littérature belge

La Maison du Livre (Bruxelles) Commissaire(s): Laurence Boudart, Christophe Meurée

Sous le titre attrayant et bien choisi pour piquer la curiosité, les Archives et Musée de la Littérature (AML) ont rassemblé des objets littéraires dans une exposition temporaire, à la Maison du Livre (Bruxelles). A l’instar d’une chasse aux trésors dans un grenier, cette exposition semble sortir des oubliettes des objets insolites ayant appartenu aux hommes et femmes de lettres belges et elle offre « ainsi un accès singulier et ludique à notre littérature », selon le texte de présentation. Jouant pleinement la carte d’un certain fétichisme, l’exposition présente de multiples objets personnels, allant d’une machine à écrire à un instrument d’assistance respiratoire. Une fois mis sur le devant de la scène et en relation avec une documentation riche, ils donnent des nouvelles clés de lecture de l’œuvre de l’écrivain en question.

Que trouve-t-on d’insolite dans ces archives littéraires à Bruxelles ? À travers la présentation de 17 objets différents et, partant, de 17 écrivains différents de la littérature belge de langue française, le visiteur découvre une partie insoupçonnée des richesses des Archives et Musée de la Littérature. L’on pense immédiatement aux accessoires souvent associés au métier de l’écrivain. La mise en scène de la machine à écrire de Jean Louvet ou de la chaise de bureau de Thomas Owen participe ainsi à la création de l’imaginaire du travailleur intellectuel, assis à son bureau. Bien évidemment, l’exposition des AML entend aller au-delà de cette imagerie attendue. D’autres objets, s’ils sont usuels pour leurs propriétaires, deviennent sous vitrine de petits trésors aux yeux des visiteurs. On imagine les compagnons félins de Jacqueline Harpman se reposant tranquillement dans leur panier, André-Marcel Adamek consultant méticuleusement son baromètre holostérique chaque jour et le seul Prix Nobel de la littérature belge, Maurice Maeterlinck, manipulant avec la plus grande précaution sa machine d’assistance respiratoire. Comme le souligne Laurence Boudart, directrice des AML et co-commissaire avec Christophe Meurée de cette exposition, celle-ci veille « à rassembler des objets ressortissant à des catégories différentes : objets usuels, objets liés à l’écriture, objets symboliquement investis… » (D. Martens & C. Van Vyve, « Littérature d’objets. Entretien avec Laurence Boudart », dans L’Exporateur littéraire, 2022).

Une grande variété d’objets et d’écrivains sont donc présentés. L’exposition donne, toutes époques et genres confondus, une place aux différents romanciers, poètes et dramaturges de la littérature belge, avec un équilibre voulu entre hommes et femmes. Ce tour d’horizon est également un survol dans le temps, bien que – et il est important d’insister sur ce fait – un choix délibéré ait été fait de délaisser le parcours historisant, forcément trop scolaire et que la diversité des objets réunis n’aurait que difficilement permis de proposer. La chaise pliante signée et dédicacée par Amélie Nothomb à la Foire du Livre en 2005 y trouve ainsi tout autant sa place que le mystérieux coffret datant du début du XIXe siècle que Georges Rodenbach tenait de sa mère. Dans la mesure où les AML conservent également de nombreuses archives sur le théâtre belge, rien de surprenant à ce que les dramaturges occupent une place importante dans cette exposition. Borax, le cheval en bois de Michel de Ghelderode, par exemple, capte immédiatement l’attention du visiteur quand ce dernier entre dans la salle. Et n’oublions pas la poésie, avec notamment le bâton dont Dotremont se servait afin d’écrire ses logoneiges en Laponie. Pour compléter ce panorama littéraire, on signalera encore les objets personnels d’Henri Michaux (une valise), de Gaston Compère (un orgue), d’Emile Verhaeren (une petite statue de crapaud), de Marie Gevers (des sabots d’enfants), de Céline Delbecq (une latte annotée), de Constant Burniaux (un dictaphone), de Dominique Rolin (des boîtes de rangement pour bureau) et de Michèle Fabien (un presse-papier).

Il est clair qu’en termes d’expôts et de personnes exposées, la proposition est en soi assez hétéroclite. Mais en termes de scénographie, le parcours se révèle relativement intuitif. Un cartel d’introduction à l’entrée permet au visiteur de bien cerner le parti pris : pas de sacralisation de l’écrivain, mais une interrogation littéraire sur l’objet. Ensuite les objets sont disposés dans un hémicycle, qu’on parcourt intuitivement de gauche à droite, dans une disposition assez répétitive : comme de petits ilots dans l’espace, les différentes stations de vitrines accompagnent les objets personnels des écrivains et fournissent une documentation diverse : des manuscrits, des livres, des photos, ou, assez rarement, des documents d’une autre nature archivistique, comme des partitions de musique, un CD, ou encore quelques croquis. Dans la mesure où  le parcours est assez court, cette scénographie concentre l’attention du visiteur.

Peut-être l’avez-vous déjà constaté pendant d’autres visites – une disposition très appréciée dans les expositions de la littérature et du livre repose sur la mise en scène d’une triade d’objets : un manuscrit, un imprimé et de l’iconographie. Les commissaires de la présente exposition se sont manifestement basés sur ce principe en agençant systématiquement dans chaque vitrine au moins un manuscrit de la main de l’auteur, un imprimé issu de son œuvre et une photo (ou peinture) personnelle. L’ajout d’un objet personnel n’est pas sans intérêt dans cette perspective. En tant que pont entre le monde du lecteur et celui du visiteur, l’objet permet de revisiter le texte en donnant de nouvelles clés de lectures. En somme, ces multiples expôts et médiums permettent véritablement de mettre en relief les œuvres.

À cela il faut ajouter que, disposant de très riches fonds sonores, les commissaires des AML ont sélectionné divers fragments sonores, mis à la disposition des visiteurs grâce à des codes QR. Éparpillés à travers la salle, sur des vitrines et sur les cimaises, environ neuf fragments d’une minute en moyenne sont à découvrir pendant la visite et le visiteur pourra facilement réécouter les fragments après sa visite à travers ce lien permanent. Des extraits de lecture, ou d’entretiens dûment sélectionnés apportent une plus-value à la disposition, en rapprochant mieux encore le visiteur et l’écrivain. Étant donné que le recours à l’ouïe ne va pas de soi dans des expositions littéraires, fortement ancrées dans l’imprimé, ici, l’écoute de la voix de l’écrivain constitue un vrai point d’accroche, tout en symbiose avec les autres médiums exposés.

Si l’exposition s’emploie à opérer un rapprochement entre le monde du visiteur et celui de l’auteur, qu’en est-il lorsqu’on ne connait pas l’œuvre de tel ou tel écrivain ? Il est à remarquer que la médiation pour ceux et celles qui ne la connaissent pas (entièrement) est assez pauvre de ce point de vue. Les cartels dans les vitrines sont assez succincts : des repères biographiques essentiels, quelques éléments bibliographiques et la mention d’éventuels prix littéraires remportés par l’auteur en question. D’ailleurs, aucune référence explicite n’est faite aux objets personnels exposés, sauf un sous-titre sommaire et parfois relativement énigmatique. En tant que connaisseur, on se prêtera volontiers au jeu, mais pour le passant curieux, l’entrée en matière pourrait s’avérer plus difficile. Une visite individuelle ne pourrait probablement combler les exigences du visiteur néophyte. Heureusement, la salle d’exposition, située dans la Maison du livre, lieu dédié à la promotion de la littérature et du livre, est un espace vivant, avec des visiteurs de tous âges, et très accueillant. Ainsi, sur place, un médiateur vous organise, avec le plus grand plaisir, une visite sur mesure. En plus, un dossier pédagogique pour des jeunes adolescents, élaboré en collaboration avec Espace Nord est disponible pendant et après votre visite. D’un autre côté, les connaisseurs ne resteront pas sur leur faim après leur visite, car l’exposition est accompagnée d’une programmation riche. Des chercheurs et des écrivains étaient conviés lors de différents rencontres, ateliers d’écriture et débats animés pour parler de leur rapport aux objets littéraires.

Ces objets exposés, aussi insolites qu’intrigants, s’amassent dans les archives des AML et nous confrontent à une question ardue : en quoi consiste notre patrimoine écrit et comment le sélectionner et conserver ? Cette exposition nous montre comment les objets personnels d’auteurs ont une valeur littéraire qui dépasse le cadre de la simple anecdote et le piège du simple fétichisme. Effectivement, l’exposition évite l’écueil du sanctuaire ou un cabinet de curiosité, ce qui confère finalement à ces babioles une valeur qui en fait de véritables trésors.

Camille Van Vyve

Aspirante FRS-FNRS à l’Université libre de Bruxelles


Pour citer cet article:

Camille Van Vyve, « Babioles & trésors. La face cachée de la littérature belge », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Apr 2024.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/babioles-tresors-la-face-cachee-de-la-litterature-belge/, page consultée le 19/04/2024.