Expositions

13. Collection  

Exposition référente: La Littérature comme document. Les Écrivains et la culture visuelle autour de 1930

 

La littérature se décline sur le mode documentaire : dans l’entretien, l’écrivain confie sa parole au journaliste

 

 Gallimard, « Les documents bleus » : Frédéric Lefèvre, Une heure avec..., cinquième série (1929) & Henri Drouin, Femmes damnées (1929) (avec l’aimable autorisation de Gallimard).En 1923, les éditions Gallimard inaugurent leur collection « Les documents bleus » en publiant la traduction des Trois essais sur la théorie de la sexualité, signés par Sigmund Freud. Suite à cet ouvrage de psychanalyse, la collection accueille un essai sur la versification, un reportage ethnologique et un recueil d’entretiens qui, avec les nombreux volumes ultérieurs, la diversifient résolument. Car le principe qui garantit l’unité des « documents bleus » ne relève pas d’une branche spécifique du savoir, pas plus que d’un genre, mais bien du statut des textes.

La littérature s’est immédiatement introduite dans cette collection documentaire. Ainsi, par exemple, l’auteur du livre répertorié sous le numéro six (Les Pas perdus, 1924) n’est-il autre qu’André Breton. Quelques mois avant la parution du Manifeste du surréalisme, l’écrivain expose en effet ses considérations à l’égard d’artistes qui lui sont contemporains, vis-à-vis d’amis et, au moins indirectement, de lui-même. Car c’est Breton qui s’exprime : le je n’appartient pas à la fiction. Il renvoie à l’homme de lettres et fait des Pas perdus un carrefour entre document et littérature. Les entretiens déjà évoqués s’inscrivent dans la collection sur cette même relation au monde. Initialement parus dans la revue Les Nouvelles littéraires, les entretiens Une heure avec…, menés par Frédéric Lefèvre auprès de nombreux écrivains, sont repris dans « Les documents bleus » (1924-1929, cinq séries). Les enquêtes que dirige Lefèvre reflètent une conception de l’écriture littéraire qui accentue la continuité entre l’homme, l’écrivain et l’œuvre. Elles traduisent par conséquent une dimension biographique manifeste.

Plus fondamentalement encore, en tant qu’« énoncé dont la finalité théorique est informative et référentielle »[1], le genre de l’entretien d’écrivain (LINK EXPO EN LIGNE ECRIVAINS MODE D’EMPLOI sur entretiens) se partage entre le littéraire et le médiatique. C’est pourquoi Lefèvre revendique la valeur d’enregistrement de ses Une heure avec… : « Sans aucun dessein préconçu, des enquêtes comme celle que nous ouvrons avec ce premier livre, enregistrent ces variations de l’admiration des écrivains »[2]. Dans cette optique, la littérature compose avec le caractère factuel du document, intersection dont témoigne l’entreprise de Gallimard.

 

[1]    Jean-Marie Seillan, « Introduction », in Joris-Karl Huysmans, Interviews, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 10.
[2]    Frédéric Lefèvre, Une heure avec… [1924], première série, Paris, Gallimard, 1926, p. 9.

 

Pistes bibliographiques
David Martens et al., « From Writer’s Interview to Literary Interview: For a Poetics of a Shared Genre », in Poetics Today, 2014 (à paraître).
Martine Lavaud & Marie-Ève Thérenty, ed., « L’interview d’écrivain (1870-1914) », in Lieux littéraires, n° 9/10, 2006.

 

Guillaume Willem