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La maison d’écrivain en vacances (sur un dossier hors-série du Monde)
Le numéro spécial intitulé « 80 maisons d’écrivains pour l’été » proposé par Le Monde Hors-série pour la période allant de juillet à septembre 2021 surfe (si l’on peut se permettre ce jeu de mot tout estival !) avec la thématique. Aussi pourrait-on le renommer « La maison d’écrivain en vacances » : d’une part, parce qu’il propose d’explorer un ensemble de musées à visiter pendant l’été, d’autre part parce qu’il interroge plus ou moins explicitement les ressorts de la mythologie associée à la figure de l’écrivain dans son intimité, et notamment dans ses lieux de vie et de séjour.
Un microcosme pittoresque
Il est intéressant que le numéro consacré au sujet soit justement une publication estivale. Associer la visite des « maisons d’écrivain » aux vacances d’été en particulier, à des sorties (dominicales) très « Luxe, calme et volupté » en général est chose courante dans la presse, qu’elle soit généraliste ou spécialisée, notamment dans la presse féminine et dans la presse associée à l’univers domestique, décoratif ou encore artistique (voir le dossier publié dans Vogue, par exemple).
« Maison » et « musée », la maison d’écrivain se visite « au carré » pour ainsi dire, d’autant qu’elle est remarquable côté cour et côté jardin : elle est en effet communément perçue comme un microcosme pittoresque dans un imaginaire et une imagerie de carte postale qui fait la part belle à de charmants panoramas avec ciel bleu et pelouse bien entretenue : l’iconographie et les textes du numéro livrent une image policée de beaucoup de ces lieux comme en témoigne cette évocation des alentours de la « maisonnée » de Mallarmé, à Valvins, « accoudée au fleuve et aux derniers soubresauts de la forêt de Fontainebleau » (p. 51). En ce sens, le magazine revêt des airs de carnet de voyage et de guide touristique, ce dont témoignent les cartes et les encarts avec l’adresse des sites. Par ailleurs, les articles, qui présentent tour à tour une maison-musée, obéissent aux codes génériques de ces textes : ils reposent sur un ensemble de notes historiques et biographiques auxquelles se mêlent des descriptions empruntent d’un certain lyrisme, propre à donner envie au lecteur-visiteur de découvrir les lieux. Le texte s’accompagne enfin d’un corpus d’images très riche, caractéristique là inhérente aux genres icono-textuels mentionnés.
Un florilège discutable
Le numéro se présent ainsi comme un florilège de maisons-musées organisé autour de trois catégories qui – c’est regrettable sans doute – ne sont pas définies. Certes, l’ouvrage n’a pas vocation à être savant, mais les termes choisis (maisons « historiques », « classiques » et « modernes »peuvent induire quelques confusions la catégorie des « classiques » répond à celle des « modernes » dans un sommaire qui se fait l’écho d’une approche bien connue de l’histoire littéraire (scolaire) opposant les Classiques aux Modernes et à la querelle du même nom, au xviie siècle, les deux premiers termes ne sont pas si nettement distincts l’un de l’autre dans la mesure où un « classique », pour faire date, « date » lui-même ; sa création remonte à une époque révolue, il appartient à l’Histoire. À observer le sommaire, on pourrait penser que la première catégorie recouvre en réalité les maisons d’écrivains liés à des périodes antérieures au xxe siècle (Balzac, Montaigne, Voltaire, Dumas, Chateaubriand, Racine, Hugo… tous des « classiques » au sens développé par le regretté Alain Viala). Mais un coup d’œil jeté à la liste des « classiques » fausse cette interprétation puisque… George Sang inaugure la liste, suivie de Proust et de Maupassant, par exemple. En revanche, c’est bien une ligne de démarcation chronologique qui sépare les deux premières catégories de la troisième – les « modernes » –, consacrée aux auteurs du xxe siècle (nés au, ou publiant xxe siècle : Maurice Leblanc, Mauriac, Giono…).
Il est par conséquent notable que le magazine s’inscrive dans un système de classement à la fois péremptoire (assené et non justifiée) mais aussi traditionnel dans la mesure où les maisons-musées mises à l’honneur sont quasi toutes connues et reconnues du public et distinguées par les labels (voir le label décerné par le Ministère de la Culture : « Maisons des Illustres ») et autres étiquettes touristico-patrimoniales qui valorisent ces monuments (à noter : un grande partie des « 80 » maisons font l’objet de quelques lignes très succinctes). Il aurait pu être intéressant, dès lors, de proposer une typologie au seuil du volume, du moins de mettre en lumière spécifiquement le statut de ces étranges « maison[s]-livre[s]» (p. 46), par exemple, expression que Martine Reid emprunte à Jérôme Garcin dans son article sur la maison de Colette (p. 44-47) : ici, l’œuvre peut trouver à se réifier (chez Colette), là ce sont des maisons construites à partir d’une œuvre (le Combray de Proust, p. 38-40). Dans cette perspective, le numéro semble assez convenu, même au plan formel : on le voit au recours, pour titrer l’édito, à la formule proustienne « du côté de chez… », à une charte graphique qui, empruntant ses courbes aux pleins et aux déliés de l’écriture scolaire, paraît désuète, ou à la plupart des images qui reconduisent, entre autres, l’imagerie stéréotypique du bureau d’écrivain mis en scène avec plume et papier, ou reliques fétichisées . Par ailleurs, l’association « maisons d’écrivains » / « visites estivales » ne risque-t-elle pas d’atténuer, voire de neutraliser un grand nombre d’interrogations liées à ces lieux en les cantonnant au rang de loisir ?! Rien de nouveau, donc, sous le soleil des maisons d’écrivain ? Rien, si ce n’est quelques points qui confèrent son intérêt au numéro spécial.
Apports du numéro hors-série
Une des nouveautés proposées dans le numéro réside néanmoins dans l’intérêt porté à une catégorie d’habitations rarement considérées jusqu’à récemment ou mises en lumière par rapport aux lieux de vie des écrivains : les chambres d’hôtels, garnis, salles de café… où les écrivains « séjournent », auxquels leur légende les identifie (Baudelaire, Rimbaud, Sartre, Cossery…). Le numéro fait ainsi connaître l’ouvrage de Nathalie H. de Saint-Phalle (Hôtels littéraires. Voyage autour de la terre, Denoël, 2005) sur le sujet et prend place, sans le savoir, dans la dynamique qui nourrit ces interférences tant du côté du marketing, du patrimoine que des travaux scientifiques en la matière (voir le numéro à venir de Culture et musées sur le sujet).
En outre, certains articles portent sur l’actualité du sujet et mentionnent des maisons qui n’existent pas encore sous la forme d’un musée (ainsi de la future maison-musée de Saint-Exupéry à Saint-Maurice-de-Rémens, à côté de Lyon, p. 88-89) ou qui font l’objet de travaux de réhabilitation (ainsi du gigantesque chantier de la maison de l’auteur d’Aziyadé, savoureusement intitulé « Pierre Loti sauvé par le Loto », p. 78-79). Quelques articles mettent aussi en lumière des cas assez rarement évoqués : ceux de Joë Bousquet, à Carcassonne (p. 62-63) ou de Louis Guilloux à Saint-Brieuc (p. 70-71), par exemple. En ce sens, il convient donc de nuancer le constat établi préalablement : si le panthéon des auteurs et des maisons-musées qui leur sont associées est globalement reconduit, quelques nouveautés rebattent un peu les cartes. Il peut sembler plus gênant toutefois, pour un hors-série vendu à un prix assez « élevé » (8,90€) que le magazine se complaise à plusieurs reprises dans la réédition d’articles déjà parus dans diverses publications du Monde (M, le magazine du Monde…), ou dans la consultation de personnalités en vue dans le paysage des maisons-musées ou des spécialistes d’auteurs (par exemple, Evelyne Bloch-Dano) qui, pour être d’éminents connaisseurs de l’histoire des maisons et de leurs habitants et d’infatigables zélateurs des monuments, ne renouvellent pas toujours l’étude du sujet. Ceci est particulièrement visible dans la bibliographie proposée à la fin du numéro : elle coupe complètement le lecteur de récentes publications émanant de musées ou d’universitaires (que l’on peut retrouver dans la bibliographie des RIMELL) pour se contenter de mentionner des guides de visite et des essais généralistes de nature souvent monographique et historique.
Enfin (et surtout ?) le numéro propose avec raison une lecture post-moderne du sujet en faisant la part belle – quoique peut-être trop timidement – à la question de la « mythologie » de la « maison d’écrivain », dont l’expression n’est d’ailleurs aucunement mise en perspective avec la définition qu’en donne la Fédération des maisons d’écrivains et des patrimoines littéraires, laquelle n’accorde d’ailleurs pas le substantif « écrivain » au pluriel, à la différence du Monde justement, dans son titre. Une réflexion critique est cependant amorcée grâce aux citations de Julien Gracq, qui a beaucoup critiqué les « visites au grand écrivain » (Olivier Nora) dans des musées-sanctuaires. L’article consacré à la destinée de sa maison, devenue a contrario une « résidence d’écrivain » (p. 72-73) complète la réflexion entamée, ainsi que l’édito qui, s’appuyant sur Gracq, parle de « misérable construction de l’esprit » (p. 3), avant d’affirmer, malgré tout, le charme de ces lieux qui aimante les contemporains voyant en eux une seconde peau, un miroir qui ouvre sur l’intériorité de l’écrivain, comme l’analyse Mac Orlan au sujet de sa maison (p. 80). Dans cette perspective, le magazine soulève un questionnement formulé par Roland Barthes, dans un essai intitulé « L’écrivain en vacances » (l’un des chapitres de ses Mythologies). Il y affirme que le spectacle de l’écrivain en vacances n’entame en rien son « aura », bien au contraire :
L’image bonhomme de « l’écrivain en vacances » n’est rien d’autre que l’une de ces mystifications retorses que la bonne société opère pour mieux asservir ses écrivains : rien n’expose mieux la singularité d’une « vocation » que d’être contredite – mais non niée, bien loin de là – par le prosaïsme de son incarnation : c’est une vieille ficelle de toutes les hagiographies. […] [L]e solde de l’opération c’est que l’écrivain devienne encore un peu plus vedette, quitte un peu davantage cette terre pour un habitat céleste où ses pyjamas et ses fromages ne l’empêchent nullement de reprendre l’usage de sa noble parole démiurgique (Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 32).
« Hagiographique », le numéro l’est certainement en ce qu’il valorise la figure de l’écrivain-saint-ermite « retiré du monde » (p. 92), dans des ermitages aussi poétiques que mystérieux. L’évocation du quotidien de l’écrivain y est circonscrite pour souligner son dévouement à son sacerdoce, le caractère de « sanctuaire » du refuge solitaire. L’interrogation développée autour de la mythologie identifiée est formulée de façon continue mais diluée dans le numéro ; le caractère extra-ordinaire de ces lieux « à part » s’impose à la lecture : il ne contredit donc pas la lecture barthésienne de l’essai mentionné. Mais cette question aurait sans doute mérité d’être plus clairement posée et approfondie pour ne pas (trop) faire de ce numéro un énième vade-mecum touristique, un bel objet pour une lecture à la plage ou en chaise longue, statut auquel il peut prétendre il est vrai. Les inventifs ornements disposés façon « papier peint vintage » qui ornent les pages de couverture intérieures du volume et qui représentent respectivement une maison stylisée traversée par une plume et une pointe de stylo-plume, participent de la création d’un numéro d’ambiance qui saura plaire assurément, mais qui laisse sur sa faim.
Marie-Clémence Régnier (Université d’Artois)
Pour citer cet article:
Marie-Clémence Régnier, « La maison d’écrivain en vacances (sur un dossier hors-série du Monde) », dans L’Exporateur littéraire, Sep 2021.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/publication/la-maison-decrivain-en-vacances-sur-un-dossier-hors-serie-du-monde/, page consultée le 03/10/2024.