Napoléon, héros de la littérature
Grand amateur de littérature, Napoléon s’est toujours méfié des écrivains. Beaucoup cherchèrent à le flatter, certains s’opposèrent à lui comme Chateaubriand, mais presque tous accueillirent la chute de l’Empire avec soulagement, la génération romantique, à l’instar du jeune Victor Hugo, s’affirmant même royaliste. Au milieu des années 1820, la politique réactionnaire de la Restauration ne tarda pas à faire regretter l’Aigle, désormais perçu non plus comme « l’Ogre » despotique de la légende noire, mais comme le représentant de la Révolution et le héros du libéralisme. Le vaincu de Waterloo était mort en exil en 1821, mais sa légende avait pris son envol grâce au crépusculaire Mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823. Dès le début des années 1830, les artistes se rangèrent en colonne par deux sous l’ombre du vainqueur d’Austerlitz. Écrivains, poètes, peintres et graveurs, sans oublier les historiens, tous furent influencés par le mythe, qu’ils soient fascinés par le grand conquérant, par le défenseur des libertés ou par le martyr du vaincu de Waterloo.
Source inépuisable d’inspiration, la légende napoléonienne survécut à tous les changements de régime, évoluant et s’enrichissant sans jamais se démoder. La littérature s’inspira de la vie de Napoléon pour imaginer un nouveau héros, dont l’ambition et la témérité n’étaient plus, comme sous l’Ancien Régime, des défauts propres aux arrivistes, mais bel et bien des qualités. On retrouve un exemple frappant de ce phénomène dans La Chartreuse de Parme (1839), dont l’incipit est un éloge flamboyant de l’égalitarisme de la Révolution, lequel est, selon Stendhal, incarné par Napoléon. Peu d’écrivains résistèrent à la séduction de la légende impériale. Même Balzac, politiquement plus conservateur, publia un recueil de pensées et de maximes de l’empereur, avant de jeter de la poudre de Bonaparte dans plusieurs volumes de la Comédie humaine.
Est-ce dire que l’histoire est une fiction comme une autre ? Ou qu’avec Napoléon, histoire et littérature se rejoignent ? La création littéraire et artistique autour de Napoléon se construit autant sur les faits historiques que sur les rumeurs, les fantasmes et la légende, ce qu’illustre parfaitement l’ambivalence de l’empereur, personnage historique mais qui porte en lui une part d’irréel et même d’impossible, ancrée dans le tangible autant que dans la fiction. L’empereur se serait-il lui-même exclamé à Sainte-Hélène : « Quel roman que ma vie ! », comme s’il avait anticipé l’admiration des écrivains futurs. Le retour en grâce inattendu de Napoléon, permis par la littérature, est l’histoire que cette exposition se propose de raconter, à l’aide des collections remarquables et méconnues du musée Masséna et de la bibliothèque patrimoniales Romain Gary, qui renferment des trésors bibliophiliques et iconographiques sur l’Empire et sa légende.