La diagonale d’Éric Watier
À l’invitation de Michaël Batalla, l’artiste Éric Watier a traversé la bibliothèque du cipm (Centre international de poésie de Marseille) pour en prélever certains livres et en faire une exposition. Sur le site du cipm, il commente en ces termes le projet : « Ça aurait pu être ça, mais j’ai été incapable de faire « seulement » ça. De m’en satisfaire.
J’adore faire des expositions et j’adore faire des livres. Et ce que je préfère par dessus tout, c’est faire une exposition avec des livres qui auraient été faits spécialement pour elle.
Tout mon travail est basé sur l’édition, le multiple, le reproductible. Il y a longtemps que j’ai abandonné l’objet d’art unique pour lui préférer son édition illimitée.
J’ai donc proposé à Michaël Batalla de faire un livre à partir d’une « diagonale » de la bibliothèque et d’en exposer l’édition. C’est exactement ce que nous avons fait.
Pour réaliser ce livre, j’ai d’abord passé du temps à la bibliothèque. J’y étais déjà venu pour faire des recherches sur Charles Reznikoff. J’y étais aussi venu pour une exposition et une lecture organisées par Véronique Vassiliou. Bref, je suis revenu (avec plaisir) me reperdre dans les rayonnages.
L’idée était restée simple : j’allais prendre des livres un peu dans tous les rayons (des connus, des inconnus, des insoupçonnés) et en photocopier à chaque fois une page intéressante. Puis il s’agissait de trouver un texte à l’intérieur de chaque texte photocopié. Un texte qui ressemble à ceux que j’écris d’habitude (dans la série Choses vues par exemple), mais un texte qui garde aussi les traces d’une écriture étrangère.
Je pensais présenter la photocopie d’origine, accompagnée du texte obtenu dans le texte.
Photocopier un livre tout le monde sait ce que cela donne, et ce n’est pas toujours intéressant. La photocopie peut se suffire à elle-même. Parfois pas. Là encore, c’est l’expérience, et elle seule, qui m’a convaincu qu’il fallait effectivement en faire un peu plus.
J’ai donc décidé de traiter chaque photocopie pour accentuer la forme du texte, le format du livre et la matérialité un peu sale de l’image générée par le photocopieur.
La question qui s’est alors posée, celle qui se pose toujours à ce moment-là, celle à laquelle on n’échappe pas, était la question de la forme. On a beau faire, on n’échappe jamais à la forme. On n’échappe pas à tout ce qui se fait, à tout ce qui a déjà été fait. C’est-à-dire à ce qui est déjà là, qui nous nourrit et qui nous encombre. Encombrante histoire, asphyxiante culture.
Des photocopies, soit. Des scans, soit. Mais quels réglages pour rendre tout ça surprenant ? Bizarre ? Inattendu ?
Ça n’a pas été simple.
Je savais qu’il y avait à côté des images, des textes obtenus en découpant les textes déjà choisis dans la bibliothèque. Trois fois rien. Des micro-textes. Beaucoup de blanc. Alors voilà, après d’innombrables essais (474 pour être précis), il est devenu évident (!) que la meilleur des hypothèses était la plus floue, la plus contrastée, la plus noire possible. Nous y sommes.
Un livre donc. Exposé sur une table. Page de gauche : une matière noire, brillante et illisible. Page de droite : un texte blanc et léger.
Et plus loin les livres d’origine. Ceux de la bibliothèque. Intacts. »