Entretiens

15/04/2022

Je demeure ta voix retenue. Entretien avec Mathilde Labbé

Médiathèque Jacques Demy (Nantes)

Nés en 1920 et 1922, René Guy et Hélène Cadou se sont rencontrés à travers la poésie. L’exposition présentée jusqu’au 7 mai à la médiathèque Jacques Demy de Nantes explore l’articulation, les jeux d’échos et d’éclairage mutuel entre leurs deux œuvres et invite à les replacer dans l’histoire du lyrisme au XXe siècle.

 

Laurence Le Guen  Pourquoi présenter une exposition Hélène et René Guy Cadou en ce début d’année 2022 à la médiathèque Jacques Demy de Nantes ?

L’exposition devait s’inscrire dans un cycle de commémorations : celles de la naissance (1920) et de la mort (1951) de René Guy Cadou, mais aussi celle de la naissance d’Hélène Cadou (1922). Lorsque la médiathèque m’a sollicitée, je travaillais sur la correspondance de René Guy Cadou, pour comprendre en particulier son rôle dans la collection « Poètes d‘aujourd’hui » éditée par Seghers. Connaissant les travaux déjà réalisés sur son œuvre, j’ai pensé qu’il serait intéressant de concevoir une exposition double, sur René Guy et Hélène Cadou. Hélène a souvent été présentée comme celle qui a entretenu la mémoire de son mari, mais elle a en fait une œuvre propre. J’ai proposé que l’exposition porte sur leurs deux œuvres, pour que le visiteur puisse les lire en même temps.

 

LLG  A partir de quels fonds s’est constituée cette exposition ?

ML  Les archives de René Guy Cadou puis celles d’Hélène Cadou ont été données à la mairie de Nantes.

Au moment où le travail préparatoire a commencé, même si l’inventaire était déjà précis et édité, il restait des œuvres à indexer : le fonds, constitué par des dons successifs, est très important. Il faut y ajouter tout ce qui a trait au Centre René Guy Cadou, créé par Hélène Cadou, et anciennement installé dans la médiathèque Jacques Demy.

Les neveux d’Hélène Cadou, Jean-François Jacques et Vincent Jacques, ont apporté leurs propres documents. Vincent Jacques, photographe, a fourni de nombreuses photographies de famille, et mais aussi des clichés sur lesquels Hélène Cadou a écrit, comme la série « Avenue de la mer ».

Nous avons également emprunté une pièce au musée d’Agen. Il s’agit d’un tableau de Roger Toulouse intitulé Le jeune homme à la médaille. Ce tableau a inspiré un poème et Roger Toulouse a réalisé une deuxième œuvre à partir de ce texte. Ce portrait est un exemple des nombreux échanges entre les Cadou et les artistes qui les entouraient.

LLG  Face à cette masse de documents, quels choix faire ? Et quelle scénographie mettre en place ?

ML   Au départ, la ligne n’était pas tracée. J’ai commencé par relire les œuvres des deux poètes, tout en réfléchissant aux objets, manuscrits et œuvres graphiques très nombreux dans le fonds. Les scénographes ont proposé de séparer les salles en tendant un voilage qui laisse circuler la lumière. Nous avons apprécié la légèreté et la simplicité géométrique de leur projet, en adéquation avec les œuvres des deux poètes.

 

LLG  Comment le visiteur est-il invité à pénétrer au cœur de l’œuvre ?

ML  Dans la salle d’introduction, une chronologie illustrée de photographies ainsi que deux textes très importants lui sont proposés :  la préface d’Hélène ou le règne végétal et Voir le jour sous un autre angle, sorte de manifeste poétique extrait d’une conférence donnée par Hélène Cadou  en 1991 qui constitue un véritable art poétique, et qui nous a été communiqué par le fils de son éditeur, Olivier Rougerie.Ce texte dévoile le principe de la poésie telle qu’elle la pratique. Il est donc très précieux pour qui étudie sa poésie. Nous avons souhaité le mettre à l’entrée car c’est un document, selon nous, capital à lire. Il figure aussi en annexe du catalogue.

Les vitrines de la première salle accueillent des pièces témoignant de la rencontre des deux poètes et du croisement de leurs œuvres. C’est avec Brancardiers de l’aube qu’Hélène prend connaissance de l’œuvre de René Guy Cadou.  Nous avons exposé la carte postale qu’Hélène a envoyée à ses parents après sa rencontre avec René Guy, ainsi que la première lettre qu’elle lui envoie, dans laquelle elle l’interpelle sur sa conception de la poésie. On trouve aussi quelques portraits de René Guy, un cahier de citations recueillies par Hélène (Héraclite, Nietzsche, Reverdy…), une copie des Liens du sang de René Guy Cadou, de la main d’Hélène.

 

LLG  La deuxième salle s’intitule « La parole claire » ; pourquoi cette appellation ?

ML  Nous avons voulu montrer la manière dont les deux poètes cherchent cette clarté de la parole poétique. Les vitrines, verticales ou horizontales selon la nature du document, accueillent des poèmes dont la lecture éclaire les différents aspects de cette recherche : refus du clinquant, de la poésie pour spécialistes, du sérieux et engagement dans une sorte de poésie de plain-pied. Dans ces textes s’exposent à la fois le rejet des cercles parisiens et la possibilité d’un dialogue avec d’autres poètes, dont Apollinaire. Une vitrine expose la relation de Gracq à Cadou, à la suite d’un article d’Hélène qui les rapproche autour de l’idée d’une « écriture des lisières ».

LLG  Dans l’univers des Cadou, poèmes riment avec images ?

ML  La salle des interprétations graphiques expose les échanges interartistiques qui lient les Cadou à la galaxie d’artistes qui les entourait. On y découvre le portrait de Cadou par Guy Bigot avec une trame de feuillages, dont s’inspire la scénographie. Le dialogue entre Guy Bigot, René Guy Cadou et Yves Trévédy a donné naissance à un ouvrage singulier, entièrement copié à la main, Le Diable et son train. Nous en exposons un poème, Sur la lampe des muets, face à l’illustration de Bigot, qui représente une lampe pigeon : la lampe, chez Hélène et René Guy Cadou, symbolise la poésie. Nous exposons également deux lithographies qui correspondent à deux vers du poème « Celui qui entre par hasard ». L’illustration qu’en a donnée Jean Jégoudez éclate le poème en douze images qui deviennent quasiment indépendantes. On trouve aussi le livre stèle Outre Miroir réalisé par Bernard Fouchet et Hélène Cadou et les œuvres d’artistes contemporaines qui ont réalisé pastel ou gouache sur la poésie d’Hélène ou René Guy Cadou.

LLG  La dernière salle est constituée de deux espaces, dont l’un est à l’étage.

ML  Au rez-de-chaussée se trouve la salle consacrée aux éditeurs. Nous exposons des pièces qui témoignent de la relation complexe entre l’éditeur Seghers et Hélène et René Guy Cadou, mais aussi des documents concernant Rougerie  qui a édité la plus grande part de l’œuvre d’Hélène Cadou (voir le manuscrit de la conférence qu’elle a prononcée en 1991), ou Le Castor astral, qui a réédité des œuvres de René Guy Cadou. Nous présentons également trois ouvrages d’éditeurs actuels, dont Joca Seria, qui a édité les inventaires du fonds et les lettres de Max Jacob à René Guy Cadou.

La salle à l’étage est réservée à l’écoute des poèmes. On peut y entendre des poèmes d’Hélène et René Guy Cadou enregistrés par la compagnie Le théâtre de Pan. Dans la galerie qui la prolonge, des vitrines accueillent des ouvrages et des courriers signés de deux figures inspiratrices, Max Jacob et Apollinaire, mais également des poèmes inédits découverts dans les archives.

LLG  Comment se prolonge cette exposition ?

ML  Elle est accompagnée d’un volume édité par Joca seria, intitulé Je demeure ta voix retenue, dans lequel on trouve des contributions de spécialistes et de témoins mais aussi de nombreuses photographies, des documents tirés des archives et deux textes inédits d’Hélène Cadou. Les visiteurs pourront assister à plusieurs conférences, au spectacle Poésies croisées par la compagnie Science 89, et un colloque sur la poésie d’Hélène et René Guy Cadou.

 


Pour citer cet article:

Laurence Le Guen, « Je demeure ta voix retenue. Entretien avec Mathilde Labbé », dans L’Exporateur littéraire, Apr 2022.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/entretien/je-demeure-ta-voix-retenue-entretien-avec-mathilde-labbe/, page consultée le 26/04/2024.