Entretiens

01/09/2021

Alain Le Foll, maître de l’imaginaire, entretien avec Marie Roudier-Moreau, médiatrice culturelle

Palais Lumière (Évian)

La Palais Lumière, ancien établissement thermal reconverti lieu d’expositions, à Evian, accueille, depuis le 26 juin et jusqu’au 2 janvier 2022, l’exposition Alain Le Foll, maître de l’imaginaire. Cette première grande rétrospective consacrée à cet artiste avant-gardiste, décédé en 1981 à 46 ans, est l’occasion de redécouvrir la production d’un des plus grands dessinateurs français des années soixante-soixante-dix, engagé dans le monde de la publicité et de l’illustration, mais aussi créateur de papiers peints et de céramique, et qui produisit une œuvre foisonnante marquée par l’onirisme, la nature et le goût des voyages.

 

Scénographie : Fréderic Beauclair

 

Laurence Le Guen Comment cette exposition a-elle trouvé sa place à Evian ?

Marie Roudier-Moreau Les expositions accueillies au palais Lumière d’Evian ont toujours un lien avec le patrimoine paysager, historique ou culturel de la ville ou de la région. Celle-ci prend sa source dans la célèbre affiche publicitaire pour les eaux d’Evian réalisée par Alain Le Foll en 1954, Evian l’eau vraie, avec des fleurs hyper réalistes sur lesquelles perlaient des gouttes d’eau que, selon la légende, certains passants croyaient véritables. Alain Le Foll travaillait à cette époque pour la SNIP, Société nouvelle d’information et de publicité, auprès d’autres graphistes avant-gardistes, comme Peter Knapp et Jean Widmer, graphistes suisses.

LLG  Quels aspects de l’œuvre et de la vie d’Alain Le Foll le visiteur est-il invité à découvrir ?

MRM  L’exposition présente 250 œuvres, confiées principalement par la BNF et par la famille Le Foll. Elle s’étend sur deux niveaux et présente au premier des œuvres qui correspondent à ses travaux de commande pour la publicité comme pour l’édition. Entre 1960 et 1970, Alain Le Foll était incontournable dans le monde de l’art visuel. Il a même réalisé la pochette du disque Woodstock pour les Beatles. À Evian, le visiteur peut se remémorer ou découvrir ses illustrations pour le magazine Elle, dont il illustre les récits parus en feuilleton ou les rubriques habituelles, ses affiches publicitaires pour le chou-fleur de Bretagne, l’eau d’Evian, le lait Lactel, ou pour la marque Obao, avec cette célèbre Geisha plongée dans un bain moussant et qui restera longtemps l’emblème de cette marque. Il découvre aussi ses dessins pour la brochure publicitaire consacrée à la 2CV, avec ces imitations de gravures sur bois qui emmène la célèbre voiture aux quatre coins du monde. On peut également admirer les grandes oriflammes réalisées pour le magasin Le Printemps en 1965 pour célébrer le centenaire de la marque, mais également des papiers peints prêtés par le musée des Arts décoratifs ou encore des céramiques, vases, coupes et plats fabriqués et édités par la manufacture Rosenthal.

Le sous-sol est consacré à son œuvre personnelle, lithographies et dessins artistiques, plus sombres et marqués davantage par la maladie dont il souffre à la fin de sa vie.

LLG Quelle place avez-vous accordée au livre dans cette exposition ?

MRM Les livres auxquels il a collaboré sont nombreux et présentés sous formes de grandes reproductions de personnages ou de détails de ses planches, d’accrochages d’originaux aux murs, ou sont exposés en vitrine. Alain Le Foll a beaucoup contribué au renouveau de l’édition jeunesse, avec ses dessins novateurs, fantastiques et colorés, marqués par l’influence du Push Pin Studio new yorkais. Ses images, qu’elles soient conçues pour les ouvrages de catéchèse de la collection « Arc en ciel » publiée aux éditions du Cerf, ou le livre Les trois arbres du Samouraï, réalisés avec Maurice Cocagnac, ou encore pour les albums C’est le Bouquet ! ou Sindbad Le Marin réalisés pour l’éditeur Robert Delpire, éditeur tout à fait novateur lui aussi, témoignent de son goût pour la narration par le dessin. Il aimait raconter des histoires et l’ouvrage C’est Le Bouquet !, avec un texte de Claude Roy, est imaginé par le Foll lui-même. Chaque double page de ses ouvrages témoigne aussi de son intention de faire réfléchir et nourrir l’imaginaire enfantin. Le leporello de Sindbad le marin accueille des images réalisées à l’encre noire et proposait aux enfants de réaliser eux-mêmes la couleur. L’exposition accueille aussi des livres de cuisine conçus avec sa femme Nathalie Le Foll, photographe et critique culinaire.

Il s’agit de sortes de reportages qui mêlent recettes et coutumes locales. Toute cette production livresque illustre d’une autre manière son talent de dessinateur et de coloriste, mais témoigne également des passerelles qui relient ses différentes créations réalisées sur de multiples supports. On retrouve notamment ces fleurs aux tiges sinueuses qui prolifèrent dans ses livres ou sur ses assiettes de porcelaine.

Dans la partie qui accueille son œuvre personnelle, ses dessins et lithographies représentent des paysages nés de ses souvenirs de voyages ou inspirés de cartes postales envoyées par ses amis, un bestiaire d’animaux hybrides conçus à partir de l’observation de la nature. Ils voisinent avec ses illustrations de L’exil à Jersey de Hugo réalisées à la fin de sa vie, lorsqu’il est malade. Ces images sont davantage l’expression d’un monde imaginaire, minéral, fantastique, parfois angoissant, qui reprennent les codes du surréalisme et sont influencées par Yves Tanguy ou Max Ernst.

LLG À qui s’adresse cette exposition ?

MRM Elle est destinée à tous mais des visites guidées et des ateliers sont organisées et adaptés à chaque âge de nos visiteurs. Pour les enfants, des contes ont été créés, un jeu de piste ainsi que des mascottes qui reprennent les réalisations de Le Foll : la pivoine Sylviane et le navet Hervé. De nombreux ateliers sont proposés, ateliers de création d’animaux imaginaires, de créations florales appelées « Le jardin pop, allez up ! », de peintures sur céramiques, de broderies, d’écritures de récits inspirés des illustrations présentes dans l’exposition. Un atelier avec l’illustratrice Debby Scott propose de créer une ville imaginaire en 3D et fonctionne comme un prolongement du livre C’est le bouquet ! Des visites thématiques et une déambulation contée sont également organisées en octobre, pour découvrir « La nature selon Alain Le Foll ». Une conférence-dialogue permettra également aux visiteurs d’échanger avec Cécile Chicha-Castex et Joséphine Le Foll en novembre.

LLG Quelle trace le visiteur emmène-t-il chez lui ?

MRM Un catalogue richement illustré prolonge la visite. Les nombreuses planches sont accompagnées d’analyses qui portent les signatures de Céline Chicha-Castex, la commissaire, Joséphine Le Foll-Zins, historienne de l’art, qui retrace la biographie de son père, Thérèse Willer, directrice du musée Tomi Ungerer, Cécile Boulaire, maîtresse de conférences à l’université de Tours, Marion Neveu du musée des Arts décoratifs, et aussi un témoignage de Patrice Roy, élève du maître. Tous ces textes éclairent les différent s aspects de la production de cet artiste multiple.

 

Pour en savoir plus, voir la présentation de l’exposition par Céline Chicha-Castex :


Pour citer cet article:

Laurence Le Guen, « Alain Le Foll, maître de l’imaginaire, entretien avec Marie Roudier-Moreau, médiatrice culturelle », dans L’Exporateur littéraire, Sep 2021.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/entretien/alain-le-foll-maitre-de-limaginaire-entretien-avec-marie-roudier-moreau-mediatrice-culturelle/, page consultée le 29/03/2024.