Carnet de visites

24/06/2022

Parcours et exposition à la Maison Maria Casarès (Alloue)

Maison Maria Casarès (Alloue) Commissaire(s): Johanna Silberstein, Matthieu Roy

 

Parcours et exposition à la Maison Maria Casarès du 25 juillet au 19 août 2022, puis 17-18 septembre 2022

Parcours : Fragments d’autre : la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus

Exposition : La Troupe, les auteurs et le théâtre : Maria Casarès au Théâtre National Populaire

La Maison Maria Casarès, domaine de La Vergne 16490 Alloue, France

 

Si l’on connaît bien en Avignon la Maison Jean Vilar, sise rue de Mons dans le bel hôtel particulier de Crochans, celle, en Charente, de Maria Casarès qui l’accompagna dans son aventure du Théâtre National Populaire demeure plus confidentielle. Le centenaire de naissance de la comédienne née le 21 novembre 1922 à La Corogne est l’occasion de se pencher sur les activités de sa Maison, lieu d’expositions et de rencontres. Cet anniversaire est aussi celui de Gérard Philippe né le mois suivant et cette proximité biographique ainsi que leur collaboration au sein du TNP a d’ailleurs donné l’impulsion d’une « évocation » des deux comédiens présentée à la Maison Jean Vilar du 5 juillet 2022 au 30 avril 2023. Alors que l’Hôtel dédié au fondateur du festival d’Avignon est acquis par la ville dans la perspective même de nourrir la mémoire de son travail, le domaine de la Vergne, acheté en 1961 par la comédienne, a été légué à la commune d’Alloue pour qu’il devienne selon ses souhaits un creuset créatif propre à faire rayonner cet art du théâtre auquel elle a consacré toute sa vie. Dans cette perspective, le domaine est d’abord devenu La Maison du comédien puis en 2017 La Maison Maria Casarès qui porte le label attribué par le ministère de la Culture de « Maisons des Illustres ». Dans la revue Culture & Musées (n°34, 2019) Marco Folin et Monica Preti font remarquer combien peu de ces Maisons-musées perpétuent la mémoire des actions culturelles initiées par des femmes, le cas de George Sand et de sa maison berrichonne de Nohant faisant exception.

 

 

Ce label « Maisons des Illustres » qu’arbore le domaine dès son entrée a bien sûr un caractère institutionnel, mais le visiteur, quand il passe le portail et s’avance dans l’allée, a le sentiment de pénétrer dans un territoire marqué du sceau de l’intimité. Cet espace qui fut pendant plus de trente ans le refuge de Casarès, loin du théâtre du monde, est certes devenu un lieu public mais demeure plus authentique que pittoresque, plus rustique que policé. Le domaine de cinq hectares participe en lui-même d’une mise en espace et offre une scénographie naturelle à proximité de la Charente. C’est dans ce paysage dessiné par la rivière et ses îles que Johanna Silberstein et Matthieu Roy, codirecteurs de la structure culturelle, proposent de faire entendre les mots de la comédienne et d’Albert Camus dont l’abondante correspondance a été publiée chez Gallimard en 2017. Le dispositif est simple : un casque audio permet au visiteur de suivre un parcours dans le parc. Cette déambulation est en harmonie avec la relation de ces deux êtres toujours en mouvement, en mouvement en raison de leurs activités respectives, les voyages de Maria étant essentiellement déterminés par ses tournées aussi bien en France qu’à l’étranger, mais en mouvement également en raison de la nature de leur lien. Maria le dit d’ailleurs très justement à son compagnon dans une lettre de juin 1959 : « […] quand je pense à nous, il me paraît absurde de ne pas croire à l’éternité. Et pourtant si l’on imagine l’éternité, elle ne peut être que fixe et ce qu’il y a de plus émouvant entre nous c’est quelque chose de continuellement mouvant. » (Gallimard, p. 1223) Dans cette même missive, la comédienne alors à Marseille pour jouer Le Triomphe de l’amour (mise en scène de Jean Vilar) constate que la « Méditerranée emprunte de vagues airs d’océan », et unit l’espace maritime cher à son amant au sien. Dans de nombreuses lettres, Camus désigne d’ailleurs son interlocutrice comme « sa bretonne » tant il sait, lui l’homme du soleil algérien et des beautés de Tipasa combien ces territoires rappellent à Maria sa Galice natale. Aussi bien Maria a-t-elle choisi la Charente en raison d’une singulière proximité avec les territoires de son enfance. Mais avant de trouver ce lieu privilégié qui a su protéger sa farouche indépendance, avant la mort de Camus en 1960, elle est avant tout nomade. Du reste dans ce courrier de 1959, elle poursuit sa rêverie en parlant avec alacrité d’un projet fantaisiste d’achat d’une roulotte plus en adéquation avec ses goûts, avec leur vie. Le mouvement, toujours le mouvement… Mais la déambulation proposée au domaine de La Vergne, poétiquement désignée « Fragments d’autre », est aussi en adéquation avec la vitalité et la nécessité de la parole échangée qui fondent ce dialogue intellectuel et sensible.

Cette conversation toujours recommencée est portée par la voix de deux comédiens Johanna Silberstein et Philippe Canales mais également par la composition musicale d’Aurélien Dumont créée en 2021 en collaboration avec l’Ircam. L’installation en binaural, qui sollicite les deux oreilles, donne une sensation très forte d’immersion ; les sens du visiteur sont alors en éveil en écho direct aux missives de Casarès et Camus toujours prompts à nommer leurs impressions et leurs sensations.

Si cette proposition « Fragments d’autre » mêle espace intérieur et extérieur, intimité et altérité, l’exposition consacrée aux liens de la comédienne au TNP est elle sobrement concentrée dans le rez-de-chaussée du logis principal. Elle permet pareillement en quelques « fragments » de mesurer toute l’implication de Maria Casarès dans les spectacles mis en scène par le créateur du Théâtre National Populaire qui fut également son partenaire de jeu. Dès le hall d’entrée où l’on pénètre par cette porte peinte en rouge selon le souhait de sa propriétaire, les documents dans les vitrines (livres annotés, lettres de Jean Vilar adressées à Maria Casarès, photos, programmes de salle ou de tournée), les artefacts des notes du metteur en scène affichés sur un tableau de service donnent à voir l’ampleur de cette tâche collective. Ainsi celle datée du 13 janvier 1955, dactylographiée à l’encre rouge et titrée en lettres majuscules « NOTE A TOUS CONCERNANT MACBETH » invite l’ensemble des intervenants à prendre le parti du malaise : « Je vous prie donc tous (régie électricité, régie musique, régie costumes), et très particulièrement les comédiens de jouer avec ces sentiments de peur, d’effroi, d’inquiétude, de malaise. Personne n’est sain ou raisonnable ou raisonneur. ». La cloison séparant le hall du salon est entièrement tapissée de coupures de journaux qui témoignent de l’effervescente activité du TNP, cherchant à diffuser au public le plus large des œuvres majeures du répertoire. Les articles qu’accompagnent des portraits photographiques de Maria mettent souvent l’accent sur la profondeur de l’engagement de l’actrice, la particularité de sa voix et de sa diction. C’est d’ailleurs cette voix que l’on entend fugacement dans la salle à manger où l’on peut voir près de la cheminée la tenue portée dans Lady Macbeth. La cohérence de l’exposition tient d’ailleurs à ses effets d’écho, ces mêmes toilettes sont visibles sur des clichés pris pendant des représentations ou des répétitions, sur les croquis qui ont présidé au travail des costumiers. Ainsi nous parlions précédemment du Triomphe de l’Amour en citant la correspondance de Maria, et l’on retrouve dans les différentes pièces le costume d’homme dont elle était vêtue dans son interprétation de Léonide travestie en Phocion, son étude à la gouache, des photographies, des critiques du spectacle, des indications de Jean Vilar. Cette scénographie plus domestique que muséale superpose habilement le logis privé et la loge, les objets du quotidien et les accessoires des représentations témoignant d’une vie de théâtre.

En prolongement de ces visites on peut écouter sur France Culture « Fragments d’une exploration / Maria Casarès » création documentaire de Florence M.-Forsythe (première diffusion le 27 novembre 2013) qui propose un voyage à rebours dans le parcours de la comédienne en partant précisément de sa maison charentaise.

Le site de la Maison Maria Casarès présente le programme du centenaire dont les différentes propositions sont autant d’occasions de poursuivre ce compagnonnage avec une interprète soucieuse d’incarner les rôles qui lui ont été confiés en explorant leur complexité et leur vitalité, sans faire de l’opacité une posture et du silence une stratégie.

 

Claire Olivier, EHIC, Université de Limoges
Commissariat d’exposition : Johanna Silberstein et Matthieu Roy

 


Pour citer cet article:

Claire Olivier, « Parcours et exposition à la Maison Maria Casarès (Alloue) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Jun 2022.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/parcours-et-exposition-a-la-maison-maria-casares-alloue/, page consultée le 28/03/2024.