Carnet de visites
Mistral superstar ! De Maillane à Stockholm
Archives départementales de l’Hérault, Domaine Pierres vives (Montpellier, France) Commissaire(s): Fanny Reboul
« Pop » est sans doute le premier mot qui vient en tête après avoir vu l’exposition consacrée à Frédéric Mistral aux archives départementales de l’Hérault. Car ce sont ces couleurs pop de la scénographie qui frappent le spectateur dans les salles, et que l’on retrouve dans l’affiche de l’événement. La communication publicitaire de l’exposition joue d’ailleurs de cette volonté de modernisation de la figure littéraire de Frédéric Mistral en animant une photographie d’archive de l’écrivain. C’est le poète qui nous invite à venir visiter son exposition.
Ce ne sont pas seulement les couleurs de la scénographie qui sont « pop » mais le propos en son entier qui veut présenter l’auteur de Mireille comme un auteur populaire. L’ensemble de l’exposition consiste à mettre en évidence les circulations médiatiques de son œuvre, traduite en plusieurs langues et exportée à l’international. On peut compter comme preuve les extraits de correspondance qui concluent les contrats de traduction, ou la lettre d’étudiants américains de l’université de Harvard qui cherche à rencontrer le poète.
Les adaptations de l’œuvre de Mistral vers l’opéra, vers le cinéma viennent illustrer la vivacité de cette circulation médiatique. L’exposition évoque bien entendu l’opéra de Charles Gounod et donne à voir la riche imagerie associée à l’œuvre de Mireille : affiches publicitaires, décors, costumes créés pour faire vivre l’œuvre de Mistral hors du livre. L’exposition met en regard deux adaptations cinématographiques de Mireille, l’une muette (Ernest Servaës, 1921), l’autre parlante, réalisé par René Gaveau (1933). On évoque aussi en passant les projets avortés, comme l’adaptation cinématographique de Marcel Pagnol qui n’a pas vu le jour, alors même que l’écrivain prétendait que les conditions des ayants-droits seraient les siennes. Cette volonté de mettre en image Mireille, de donner à voir la Provence et de participer à cette iconographie du sud, est partagée par plusieurs artistes, comme Picasso, dont on trouve un exemplaire illustré en vitrine.
L’exposition semble avoir pour ambition de faire sortir Frédéric Mistral de l’impasse régionaliste où sa mémoire paraît l’avoir limité. Il s’agit bien de l’extirper du local, de Maillane, du seul héritage occitan et félibre, et de le tirer vers l’aura internationale, vers Stockholm, point de mire de l’exposition, qui le consacre en Nobel. L’exposition fait le bilan des commémorations, monuments dont le poète a fait l’objet et souligne qu’au-delà des hommages nationaux, Mistral a été célébré hors des frontières françaises. Ainsi, à côté de la statuaire de Mireille frappée d’insolation inaugurée aux Saintes-Marie-de-la-Mer ou au cinquantenaire de la création de Gounod à Saint-Rémy de Provence (1913), l’exposition donne à voir les archives photographiques de l’inauguration du buste de Mistral à Athènes (1957). L’exposition fait prendre la mesure de la popularité médiatique de l’écrivain, filmé par exemple en 1913 à Aix-en-Provence à l’occasion de la fête du Félibrige. Ces supports médiatiques divers font entrer aussi Mistral dans la modernité du xxe siècle, dépoussiérant cette figure d’auteur engoncé dans un xixe siècle qui le réduit à un défenseur de la langue d’oc.
Enfin, l’œuvre de Mistral se diffuse aussi par la multiplication d’objets dérivés, de cartes postales à l’effigie de l’auteur, de produits commerciaux exposés dans la dernière salle. Elle donne alors à voir l’avenir « marque » de l’écrivain dont on récupère le personnage et l’œuvre pour des entreprises commerciales. On dénombre par exemple la liqueur Félibrige des frères Broquis, le Cacao Suchard qui reprend la figure de Mireille sur des cartes-réclame, ou encore l’huile de Paul Muratory, richement illustrée par des vignettes de scènes de Mireille.
Si l’on sent bien l’ambition de revitaliser et populariser une figure qui tend à se vieillir dans l’imaginaire collectif, l’exposition insiste aussi à plusieurs reprises sur les contentieux juridiques qui opposent les ayants-droits, et notamment la veuve de Frédéric Mistral, aux éditeurs ou artistes qui ont voulu perpétuer la mémoire de l’écrivain au cours du xxe siècle. Cette entrée juridique qui ouvre la présentation de ce fonds d’archive inédit (le fonds Mistral-Goyard) contribue à offrir une médiatisation relativement ardue.
Ainsi, la variété des emprunts, à la Bibliothèque Nationale de France, au MUCEM, au Musée du Louvre ou au Musée Arlaten à Arles, fait la démonstration que Frédéric Mistral constitue une figure nationale et internationale et cherche à donner une nouvelle pérennité à son œuvre, conformément à la conférence de Jean-Yves Casanova en marge de l’exposition. L’exposition remplit sa fonction patrimoniale essentielle : renouveler la mémoire de cet écrivain, qui traverse le xxe siècle et survit à l’éloge lamartinien et au xixe siècle qui l’a consacré.
Marion Brun (Université Montpellier 3)
Pour citer cet article:
Marion Brun, « Mistral superstar ! De Maillane à Stockholm », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Feb 2025.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/mistral-superstar-de-maillane-a-stockholm/, page consultée le 22/03/2025.