Carnet de visites

Le roman parisien de Marcel Proust

Le musée Carnavalet – Histoire de Paris Commissaire(s): Anne-Laure Sol

Le Musée Carnavalt-Histoire de Paris  est le musée municipal parisien consacré à l’histoire de Paris. Outre ses très riches collections, il abrite la chambre de Proust. Celle-ci a été reconstituée à partir de pièces de mobilier, d’objets, de documents (ainsi un des carnets offerts à Marcel Proust par Mme Straus, resté vierge) légués par Odile Gévaudan-Albaret, fille de Céleste. Cette donation a complété celle du collectionneur Jacques Guérin, qui comportait déjà quatorze objets ayant appartenu à l’écrivain. La muséographie de la chambre a été entièrement repensée récemment, mise en valeur par une lumière tamisée, accompagnée d’extraits musicaux et de textes de Proust. Une évocation vivante très réussie. La chambre de Proust voisine avec celle de son amie Anna de Noailles, grâce au don fait par le fils unique de cette dernière, Anne-Jules, dans les années soixante-dix. Le musée Carnavalet était donc prédestiné à présenter une exposition intitulée Marcel Proust, un roman parisien à l’occasion du 150e anniversaire de l’écrivain. Celle-ci fut réalisée sous la direction d’Anne-Laure Sol.

Proust reste un écrivain parisien. Certes, il a fait commencer son œuvre par « Combray », qui désigne principalement Illiers, le village paternel d’Eure-et-Loir, mais ce lieu ne fut que l’occasion de quelques séjours pendant l’enfance. Balbec (identifié à Cabourg) et Venise sont des lieux de villégiature. Évoquer le Paris de Proust, c’est évoquer les lieux qu’il aimait fréquenter et qu’il a très souvent transposés dans son œuvre, mais c’est aussi faire revivre ses amis. On est forcément ébloui par le ravissant portrait de Jacques Bizet enfant, par Jules-Élie Delaunay, avec son col blanc et son canotier. L’ancrage familial parisien est du côté Weil et on a plaisir à revoir le portrait de Madame Adrien Proust (Jeanne Weil) par Anaïs Beauvais – généralement exposé au musée d’Illiers-Combray. Nous admirons aussi celui d’Adrien Proust, réalisé par Laure Brouardel, tableau qui appartient au musée Carnavalet.

Nous voyageons avec Proust à travers Paris, grâce aux plans géants – il adorait les cartes et les guides géographiques – et en empruntant l’omnibus, en maquette évidemment – qui allait de la Place Courcelles au Panthéon. Les objets du quotidien et les accessoires apportent leurs formes et leurs couleurs, ainsi les escarpins rouges de la comtesse Greffulhe, en velours ciselé rouge fond satin, soie framboise et ruban de taffetas de soie bordeaux, un éventail en plumes d’autruche noires et montures en écaille cerise, des chapeaux haut de forme, etc. Ils nous permettent de retrouver les descriptions précises des personnages de la Recherche et le goût du détail de Proust. Une magnifique robe de Mariano Fortuny y Madrazo en velours de soie vert imprimé doré complète ce décor, faisant renaître Albertine et Venise.

Le monde des invertis est audacieusement représenté par les tableaux d’Arthur Chaplin et voisine avec celui des élégantes. Les lieux de divertissement sont représentés par les tableaux lumineux de Henri Gerveix, de Jean Béraud, et autres peintres contemporains – ainsi que par les affiches colorées. Les Ballets russes, qui occupent une place importante dans cette reconstitution du Paris de Proust, apportent mouvement, couleurs, originalité et exotisme. Le Paris gastronomique est présent à travers les affiches, les menus, et autres documents publicitaires authentiques. Le ravissant tableau de Pierre Bonnard, Promenade des nourrices, frise de fiacres, suite de quatre lithographies constituant un paravent, marque la fin de l’exposition.

Si le pictural l’emporte dans ce parcours, l’accompagnement sonore est également présent, incarné par le théâtrophone, ainsi que le visuel, avec des projections de films-adaptations d’œuvres de Proust, de magnifiques photographies en noir et blanc de Brassaï et de Claude Schwartz. L’écriture de Proust n’a pas été oubliée, représentée en particulier par les carnets et un jeu de placards-manuscrits de l’édition de luxe des Jeunes filles en fleurs.

L’exposition Marcel Proust. Un roman parisien est d’une grande richesse, avec ses trois cents œuvres, vivante, avec ses multiples supports et sa panoplie de couleurs. Bien articulée avec les collections permanentes du musée, avec les chambres d’écrivain mentionnées, elle aurait mérité un espace plus vaste et une meilleure mise en valeur de la chambre de Proust. Le catalogue de l’exposition offre la même qualité de conception que l’exposition. Le musée Carnavalet fut le premier à présenter une exposition dans le cycle des trois consacrées à Proust, lors des années commémoratives de la naissance et de la mort, en 2021 et 2022. Il fut suivi par le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (MAHJ), avec l’exposition Marcel Proust. Du côté de la mère (14 avril au 28 août 2022) puis par la Bibliothèque nationale de France (BnF), avec La fabrique de l’œuvre (29 novembre 2022-16 janvier 2023).

 

Mireille Naturel – Université Sorbonne Nouvelle

 


Pour citer cet article:

Mireille Naturel, « Le roman parisien de Marcel Proust », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Apr 2024.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/le-roman-parisien-de-marcel-proust/, page consultée le 19/04/2024.