Carnet de visites
Genet, l’échappée belle (Marseille)
MUCEM Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée Commissaire(s): Emmanuelle Lambert, Albert Dichy
Jean Genet, l’échappée belle, MUCEM (Marseille), du 15 avril au 18 juillet 2016
Une scénographie qui illustre le parcours d’un écrivain sulfureux toujours en quête d’ailleurs
Le beau titre de l’exposition, Jean Genet, l’échappée belle, prête à rêver, qui donne de Genet l’image d’un homme toujours en partance, à l’instar de Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », qu’il admirait tant. Titre qui est un clin d’œil à sa première pièce, Haute Surveillance, qu’il avait d’abord pensé appeler Pour la belle. Le lieu où est située l’exposition, le Fort Saint-Jean, qui à la fois ferme le Vieux Port de Marseille et s’ouvre sur la mer, concourt lui aussi à façonner de l’artiste un tel portrait. Dès l’entrée, le regard est immédiatement attiré par le célèbre bronze de Giacometti, L’Homme qui marche, situé au centre de la pièce, symbole tant de l’errance permanente de l’écrivain que de l’amitié qui unissait les deux artistes. Deux autres œuvres de Giacometti, le portrait de Jean Genet dans l’attitude du scribe accroupi du musée du Louvre et le dessin au crayon du visage de l’écrivain, attestent également de la force de ce lien, spirituel, métaphysique, que Genet explicite dans le bel hommage qu’il rend au sculpteur dans L’Atelier d’Alberto Giacometti (1958), essai dans lequel il montre à quel point ils partagent une même conception exigeante de l’art.
Les deux commissaires de l’exposition, Albert Dichy, directeur littéraire de l’IMEC et Emmanuelle Lambert, écrivaine, ont opté avec Olivier Bedu pour une scénographie qui met en relief les trois moments de la vie et de l’œuvre de Jean Genet. La division en trois espaces, astucieuse, donne à voir dans un premier lieu les années d’errance relatées dans Journal du voleur, dans un second le rapport au théâtre avec l’opus magnum des Paravents, dans un troisième l’engagement politique qui se donne à lire dans la composition du Captif amoureux. C’est donc toute la vie de Genet qui défile, dans un ordre chronologique, sous les yeux du spectateur.
Les lieux de l’errance
C’est l’enfance et l’adolescence de Genet qui sont présentes ici, avec ses fugues incessantes, puis les années d’enfermement à la colonie pénitentiaire de Mettray, l’engagement dans l’armée puis la désertion, le vagabondage à travers l’Europe, la prison d’adultes, les multiples aller-retours vers l’Espagne qui représente « l’époque de (s)a vie la plus misérable », comme il l’écrit lui-même dans Journal du voleur. Tout cela s’inscrit sur un mur d’archives qui s’offre au regard, mur sur lequel est collectée une série de documents, lettre bouleversante de la mère de l’écrivain qui confie son enfant à l’Assistance Publique, jugement de tribunaux, diagnostic du psychiatre de la prison militaire du Fort Saint-Nicolas (situé en face du Fort Saint-Jean) où Genet, jugé pour désertion, fut incarcéré en 1938, papiers concernant les emprisonnements successifs, renseignements généraux, etc. Tels sont les matériaux qui irriguent Journal du voleur (1948), ouvrage autobiographique dans lequel l’artiste se peint sans fard tout en tissant sa propre légende. Une œuvre d’Ernest Pignon-Ernest collée sur le mur traduit la souffrance du combat que mena Genet pour échapper à une société impitoyablement punitive.
L’espace théâtral de l’Algérie
Ce lieu retrace l’atmosphère qui a présidé à la création des Paravents à l’Odéon-Théâtre de France (1966), pièce qui a suscité un énorme scandale tant par son aspect scatologique que par sa dimension politique, qui a provoqué des manifestations tumultueuses, la guerre d’Algérie étant terminée depuis quatre ans à peine. Les paras envahirent le théâtre, manifestant violemment pour faire interdire une telle représentation qui tourne en dérision l’armée française dans un théâtre subventionné. Particulièrement intéressants sont les témoignages filmés de Jean-Louis Barrault qui dirigeait alors l’Odéon et qui perdit son théâtre, malgré l’appui de Malraux, et de Maria Casarès qui incarnait la Mère. Placées sur un mur blanc, les maquettes très colorées des costumes réalisés par André Acquart, permettent, surtout pour ceux qui n’ont pas vu le spectacle, d’imaginer de quelle façon Roger Blin conçut chacun des personnages, et de se représenter la dimension carnavalesque qu’il donna à sa mise en scène. L’exemplaire de travail de Roger Blin et de Jean Genet témoigne de la collaboration entre les deux artistes.
L’espace politique de la Palestine
Ce sont les quinze dernières années de la vie de l’écrivain qui sont inscrites ici, après l’adieu au théâtre, les années d’engagement politique auprès des Black Panthers et surtout auprès des Palestiniens dont Un captif amoureux, œuvre posthume (1986) à la fois poétique et militante en faveur des Palestiniens, se fait l’écho. Des pages manuscrites de cet ouvrage testamentaire sont placées là pour en témoigner. Autres documents concrets de l’engagement de Genet : les brochures du Black Panther Party et du Groupe d’Information sur les Prisons encadrées par deux murs, l’un de photos, l’autre de vidéos. On peut y visionner divers reportages télévisés, celui sur les massacres de Sabra et de Chatila commentés par Genet pour Zoom, celui sur les camps palestiniens de Jordanie, le témoignage de Leïla Shahid avec qui Genet entra dans le camp de Chatila.
Le face-à-face avec Jean Genet
Dans un quatrième espace, caché au regard quand on pénètre dans la salle d’exposition, on peut assister à l’entretien filmé que Genet accorda à Antoine Bourseiller, entretien tourné à Delphes en 1981 peu de temps avant sa mort, dans cette Grèce où il vécut quatre années, « les plus ensoleillées, probablement, de (s)a vie », comme il l’écrit dans L’Ennemi déclaré. Après avoir arpenté les différents lieux de l’exposition, après avoir regardé une série de documents qui relatent les trois étapes de son existence, le spectateur entend Genet lui-même en narrer les grands moments, évoquer les rencontres marquantes, notamment celles avec le résistant Jean Decarnin, avec Abdallah, avec Giacometti, rappeler le long compagnonnage qui a été le sien avec les Palestiniens, revenir sur l’expérience de la Colonie pénitentiaire et de la prison. Comme le film repose sur un montage alterné entre séquences d’entretiens et séquences illustratives, le spectateur peut également voir les lieux évoqués par Genet, images du Morvan de sa jeunesse, de la colonie pénitentiaire de Mettray, de la Grèce, etc. Au terme de l’exposition, c’est donc Genet qui guide le spectateur, qui dresse le bilan, qui déroule lui-même le film de sa vie, comme s’il était le maître d’œuvre de l’exposition. Il conclut en ces termes : « Ma vie s’achève à peu près. J’ai soixante-et-onze ans et vous avez devant vous ce qui reste de tout ça, de mon histoire et de ma géographie. Rien de plus. » Le spectateur a l’impression que l’écrivain s’est confié directement à lui, d’autant que la plupart du temps les questions posées par Bourseiller n’ont pas été enregistrées, et que cet espace, dans lequel règne une certaine pénombre, est en parti clos par une construction en bois. C’est sur ces mots que se termine l’exposition et sur une dernière image, placée juste avant la sortie, une photo de Didier Morin : La tombe de Jean Genet au cimetière de Larache au Maroc où l’écrivain avait décidé de finir ses jours.
Marie-Claude Hubert
(Aix-Marseille Université)
décembre 2016
Commissaires : Albert Dichy et Emmanuelle Lambert
Catalogue : Jean Genet, l’échappée belle, sous la direction d’Emmanuelle Lambert, Paris/Marseille, Gallimard/MUCEM, avril 2016.
Scénographie : Olivier Bedu, Struc Archi
Voir l’interview d’Albert Dichy, commissaire de l’exposition, et toutes les vidéos des lectures faites au MUCEM dans le cadre de l’exposition.
Voir aussi un extrait de l’entretien de Jean Genet avec Antoine Bourseiller :
Pour citer cet article:
Marie-Claude Hubert, « Genet, l’échappée belle (Marseille) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Dec 2016.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/genet-lechappee-belle-marseille/, page consultée le 12/12/2024.