Carnet de visites

20/09/2017

EXTRA ! festival (Paris)

Centre Pompidou Commissaire(s): Jean-Max Colard

 

EXTRA ! Festival des littératures hors du livre, Centre Pompidou (Paris), du 6 au 10 septembre 2017

 

Une réussite exceptionnelle, tant par la qualité des interventions que par la fréquentation du public (la salle du Forum -1 ne désemplissait pas). EXTRA !, qui cherchait entre autres à renouer avec la grande tradition des « revues parlées » de Beaubourg, contribuera sans aucun doute à donner à la littérature la place qui est la sienne dans l’art contemporain. En effet, si on peut avoir l’impression que l’écriture littéraire perd de son prestige et de son importance « en soi », force est de reconnaître que sa place devient de plus en plus grande et capitale dans l’art contemporain. C’est là un paradoxe, mais en apparence seulement : il se lève dès qu’on se rend compte que le couplage de l’expression littéraire et du support papier n’est pas une réalité transhistorique et que nous vivons aujourd’hui des mutations qui déplacent et interrogent l’union automatique de l’écriture et du papier.

En ce sens, l’ouverture du Centre Georges Pompidou à la littérature est moins une innovation que la conséquence logique d’un état de fait. Les écrivains ne se limitent plus au seul support du livre, ils font (aussi) des performances, interviennent dans les musées, mettent en voix et montrent leur travail dans des endroits tantôt convenus tantôt plus surprenants. De leur côté, les artistes visuels, les cinéastes, les D-jays, etc., intègrent la parole littéraire à leur travail, s’ils ne collaborent pas directement avec des auteurs. Et surtout, tant les écrivains que les artistes non-écrivains commencent maintenant à échanger leurs rôles : les plasticiens écrivent, par exemple, et les écrivains passent par l’image, jusqu’au point où les rôles et les compétences ne peuvent plus se distinguer. Comme l’explique Jean-Max Colard dans l’émission thématique que France culture a consacrée à l’événement « Quand la poésie sort du livre », les artistes modernes ne sont plus d’abord soit écrivains, soit artistes (musiciens, vidéastes, sculpteurs, etc.), ce sont des artistes qui font des « pièces », qui selon les circonstances ou les nécessités se réalisent en tel ou tel média – ou en plusieurs, bien entendu.

EXTRA ! a donné à voir et à entendre un échantillon de ces pratiques nouvelles, allant d’un roman-photo mural dévoilé jour après jour sur le mode du feuilleton à plusieurs types de performances, de lectures, d’expériences d’écriture en direct, toujours en interaction avec un public vivant. Cependant l’aspect le plus intéressant du festival était le son donné à la réflexion critique, aux discours d’escorte, bref à ce que dans une exposition traditionnelle on aurait appelé le catalogue et qui prenait ici la forme d’une série diverse de types d’accompagnement de l’écriture hors-livre. Entre parenthèses : l’expression « hors-livre » n’est pas toujours à prendre au pied de la lettre, car en pratique « livre » et « non-livre » ou « hors-livre » se combinent, que ce soit pour se compléter ou se mettre mutuellement au défi, de manière stimulante. Du reste, certaines « performances » orales se contentaient de copier à haute voix des textes préexistants (parfois même très sagement appris par cœur).

Le meilleur exemple de ce renouvellement du discours critique étaient les trois émissions en direct de Radio Brouhaha, chacune d’elles d’une durée de près de deux heures. Animées par Lionel Ruffel, co-responsable du master de création littéraire à Paris 8, ces tables pour une fois vraiment rondes et ouvertes sur la salle donnaient la parole à des historiens (dont Alain Vaillant et Roger Chartier), des écrivains (dont François Bon et Olivia Rosenthal), des éditeurs (David Desrimais), des enseignants-chercheurs (dont Magali Nachtergael) ou encore des artistes-performeurs (dont Chloé Maillet et Louise Hervé). Elles permettaient de montrer en action le sujet fondamental d’EXTRA !, à savoir l’échange et la multiplicité des rôles (au cours de l’émission, tous les participants étaient également performeurs et théoriciens, quel que soit leur fonction « première »), le mélange du produit et de la pratique (l’émission incluait des œuvres et des performances, mais était aussi une œuvre et une performance en elle-même), le va-et-vient entre l’individuel et le collectif dans des compositions sans cesse variables (à tel point que par moments le public devenait la scène et inversement), enfin le brouillage des genres et des médias (à tel point que les limites entre ce qui était « œuvre » ou « création » d’une part et « commentaire » d’autre part n’avaient plus cours) – un peu comme dans les spectacles révolutionnaires rêvés par Jean-Jacques Rousseau (dans sa fameuse « Lettre à d’Alembert sur les spectacles » de 1758), qui étaient une forme de « théâtre hors-théâtre » et de ce point de vue une belle métaphore de ce que pourrait être le « livre hors-livre ».

Les mots comptent. EXTRA ! ne se définissait pas comme une « exposition» mais comme un « festival ». Changement fondamental et fondamentalement juste. L’exposition est un mode de médiation dont la forme inéluctablement conventionnelle aurait mis en sourdine ce qui se trame de neuf dans l’écriture ailleurs que dans le livre. La métamorphose de l’exposition, et du catalogue qui va avec, en festival, c’est-à-dire en une séquence d’événements où l’objet en soi, l’objet montré et l’objet commenté se confondent heureusement, est un pas on ne peut plus logique – et partant un exemple à suivre et à creuser.

 

Jan Baetens (KU Leuven)
septembre 2017

 

Pas de catalogue, mais de nombreuses ressources sont accessibles à partir du site du festival.

Écouter l’émission thématique “Quand la poésie sort du livre”, dans Poésie et ainsi de suite (animée par Manou Farine) :

Olivier Marboeuf, directeur de Khiasma, répond à la question « Qu’est-ce que la littérature hors du livre » :


Pour citer cet article:

Jan Baetens, « EXTRA ! festival (Paris) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Sep 2017.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/extra-festival-paris/, page consultée le 23/04/2024.