Carnet de visites
Écrire, c’est agir ! autour de François Mauriac
Bibliothèque de Bordeaux Mériadeck Commissaire(s):Même si 2020 fut l’année de la fermeture des établissements culturels, l’accueil des publics ayant pu être maintenu au sein des bibliothèques de la ville de Bordeaux, l’exposition Écrire c’est agir ! organisée par la bibliothèque de Bordeaux – Mériadeck a finalement pu être maintenue et s’est déroulée du 15 décembre 2020 au 14 février 2021. Cette exposition, réalisée en partenariat avec le Centre François Mauriac de Malagar, la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet et l’INA a notamment bénéficié des conseils de Caroline Casseville de l’Université Bordeaux Montaigne.
Des documents multiples et complémentaires
S’intégrant aux manifestations du cinquantenaire de la mort de François Mauriac, cette exposition est le fruit de la collaboration des différents détenteurs publics de fonds mauriaciens : la bibliothèque de Bordeaux – Mériadeck a ainsi non seulement puisé dans ses fonds patrimoniaux mais a aussi fait appel à ceux du Centre François Mauriac de Malagar ainsi qu’à la bibliothèque littéraire Jacques Doucet. C’est d’ailleurs à cette occasion que le fonds Mauriac de la bibliothèque de Bordeaux – Mériadeck a fait l’objet d’une description précise dans le Catalogue collectif de France.
Progressivement constitué à partir du don effectué en 1973 par Jeanne Mauriac des manuscrits du discours que son mari prononça en 1965 au Grand-Théâtre de Bordeaux, cette collection ancre cette œuvre littéraire dans le territoire aquitain… S’ensuivent dans les années 1980 plusieurs dons de manuscrits littéraires et d’archives familiales faits par la famille. Depuis, ces collections n’ont cessé de s’enrichir par des acquisitions et elles représentent aujourd’hui l’ensemble littéraire contemporain le plus important que le Service Patrimoine de la bibliothèque conserve. Dédié à l’ensemble de la famille Mauriac, ce fonds s’organise en trois sous-ensembles : des manuscrits, tapuscrits et éditions originales des œuvres littéraires et journalistiques, la correspondance avec sa mère et ses frères mais aussi avec des écrivains et artistes dont certains articles du site Mauriac en ligne font échos (Francis Jammes, Jean de la Ville de Mirmont, André Lafon, Jacques Emile Blanche, etc.), et, enfin, des archives familiales et personnelles. Cet ensemble documentaire est complété en région par un second fonds conservé par le CFMM et qui regroupe également de nombreuses archives (coupures de presse, documents personnels, correspondance, etc.), dont près de 5000 photographies publiques et personnelles de l’écrivain et de ses proches.
Cette composante familiale et régionale se retrouve au sein de cette exposition qui présente de nombreuses photographies prises à Malagar ou par ses proches tout au long de sa vie et qui illustrent les différences séquences développées au sein de l’exposition. Celle-ci donne à voir la fabrique de l’écrit en confrontant manuscrits, tapuscrits et éditions originales. En plus de ces diverses épreuves et de ces documents iconographiques, des objets conservés par le CFMM viennent illustrer l’écrivain au travail (stylo plume et cahiers d’écolier sur lesquels Mauriac écrivait, machine à écrire et porte-document, etc.), véritables sémiophores si caractéristiques des collections patrimoniales que l’on retrouve au sein des maisons d’écrivains. Des prêts de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet, dont le fonds Mauriac concerne essentiellement sa vie publique et littéraire, complètent certaines vitrines, tel le dessin de l’écrivain réalisé par Maître Maurice Garçon que François Mauriac critiqua lors de « L’affaire Favre-Bulle » chroniquée en 1930 dans Les Nouvelles-Littéraires. Enfin des extraits d’émissions télévisuelles archivées par l’Institut National Audiovisuel (INA) enrichissent le parcours en apportant un souffle de vie à ces documents inanimés…
Un parcours qui met à l’honneur ses écrits de presse
Signe des temps, le discours développé se focalise sur les grands engagements qui ont émaillé la carrière de l’écrivain, comme le souligne la communication qui a accompagné l’ouverture de l’exposition : « figure de l’intellectuel engagé [qui] a traversé le siècle en « jetant son prix Nobel dans la bataille » pour soutenir les grandes causes de son époque : accueil des réfugiés de la guerre civile espagnole, soutien à la Résistance, engagement en faveur de la Décolonisation, mais aussi attention constante aux Droits de l’Homme, à la justice et sensibilité à l’environnement. »
Et c’est en mettant l’accent sur l’œuvre journalistique de celui qui fut prix Nobel de littérature en 1952 que l’exposition assume cette orientation médiatique. Ayant produit près de 3000 textes de presse entre 1910 et 1970, François Mauriac est en effet particulièrement représentatif de cet « animal très bizarre » qu’est « l’écrivain journaliste », pour reprendre les mots même de François Mauriac publiés en 1966 dans Le Figaro. Cette abondante production journalistique est ainsi au cœur du discours et de la scénographie de l’exposition, à l’image de cette colonne de l’espace d’exposition recouverte de dizaines de reproductions de couvertures, non pas des romans, mais des journaux et périodiques auxquels celui-ci a contribué, des plus connus, comme Le Figaro ou Le Monde, aux plus confidentiels comme Le Sillon de Bordeaux. Concrètement, le parcours expographique se décompose en 5 séquences autonomes mais qui suivent tout de même un parcours chronologique. Cinq thématiques sont ainsi abordées :
– l’écologie
– le journalisme
– les engagements
– la société
– les héritages
Chacune de ces séquences se structure de la même façon : des grands panneaux explicatifs, illustrés de photographies pour la plupart issues des archives du CFMM dont la charte graphique se retrouve d’ailleurs dans les couleurs utilisées par la signalétique, introduisent la thématique abordée. Celle-ci est ensuite éclaircie par l’exposition de textes et d’objets qui sont réunis pour leur capacité à servir le propos de l’exposition. C’est donc le discours de médiation développé par ces panneaux qui donne sens à cette réunion d’objets documentaires et patrimoniaux en accompagnant leur observation et donc leur interprétation par les visiteurs. La posture énonciative de l’exposition est de fait essentiellement éducative : il s’agit d’aider à la lecture de ces écrits essentiellement issus de l’œuvre journalistique et donc nécessairement datés… Le brouillon de « Fléaux », paru le 22 avril 1938 dans Temps présent, permet d’évoquer son attachement à la Nature et ses inquiétudes face à l’industrialisation du monde, ses cartes de presse et la collection reliée de L’Express offerte par Jean-Jacques Servan-Schreiber et François Giroud illustrent sa vocation journalistique, les différentes épreuves d’articles publiés dans Le Figaro, tels « Un dessin de Sennep » (24 septembre 1935), « Le démon de l’Espagne » (9 janvier 1937) ou encore « Le premier des nôtres » (25 août 1944) attestent de ses engagements politiques, etc.
En mettant ainsi l’accent sur les écrits de presse, l’exposition souhaite rapprocher cet écrivain né à la fin du XIXe siècles des publics contemporains : alors que les œuvres romanesques peuvent paraître surannées aux lecteurs du XXIe siècle, cette évocation de sujets qui nous sont encore familiers (la protection de l’environnement, l’accueil des migrants fuyant des pays en guerre, la décolonisation, etc.) donne un coup de jeune à ces documents dont les contenus résonnent avec notre actualité. Cette approche est particulièrement palpable dans la quatrième séquence de l’exposition qui, pour illustrer les rapports que François Mauriac a entretenus avec les intellectuels de son temps, rappelle que les controverses ne se limitent pas alors aux 280 caractères d’un tweet mais qu’elles se déploient à travers des tribunes qui peuvent être publiées pendant plusieurs semaines. Ce discours s’incarne dans la scénographie qui s’amuse ici à imaginer les comptes twitter de François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Jean Cocteau, Simone de Beauvoir et Albert Camus et les échanges que ces derniers auraient pu avoir à travers cette plateforme.
Aussi anachronique que puisse paraître cette mise en scène et la narration qu’elle propose, celle-ci s’inscrit dans une sorte de présentisme, posture si caractéristique des commémorations historiques qui tentent de rendre présent le passé en valorisant les multiples traces laissées par nos illustres prédécesseurs. Parallèlement, l’ensemble de cette exposition contribue à modifier la valeur des objets documentaires exposés et notamment de ces écrits de presse en leur conférant une dimension contemporaine qui leur redonne in fine un air d’actualité…
Jessica de Bideran
Pour citer cet article:
Jessica de Bideran, « Écrire, c’est agir ! autour de François Mauriac », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Jan 2021.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/ecrire-cest-agir-autour-de-francois-mauriac/, page consultée le 10/12/2024.