Carnet de visites

Cité internationale de la langue française

Cité internationale de la langue française (Château de Villers-Cotterêts, France) Commissaire(s): Xavier North, Barbara Cassin, Zeev Gourarier, Hassane Kassi Kouyaté

Un voyage en francophonie

Château de Villers-Cotterêts, cour des offices, après restauration © Pierre-Olivier Deschamps / Agence Vu’ – CMN.« Cette Cité n’est pas un musée, c’est une institution culturelle profondément originale. C’est la première fois que, dans notre pays, une institution culturelle est consacrée à cet objet patrimonial et culturel qu’est la langue française », Elysée (Paris, octobre 2023).

 

 

Un territoire emblématique de l’histoire littéraire ?

Au centre d’une ville de 10 000 habitants telle que Villers-Cotterêts, dans l’Aisne, un imposant château se dresse. Riche d’histoire, ce fut le lieu où François Ier, en 1539, signe une ordonnance imposant l’usage du français dans les documents officiels, administratifs et juridiques. Cette signature généralise dès lors la propagation du français sur le territoire. Ancienne demeure royale transformée par Napoléon en dépôt de mendicité puis en maison de retraite en 1889, ce château subit plusieurs dégradations et tombe en désuétude, jusqu’à totalement être abandonné en 2014. Depuis 2018, lorsque le Président de la République Emmanuel Macron annonce son réaménagement, ce château de 23 000m2 reprend vie au cours de cinq années de travaux afin de devenir la Cité internationale de la langue française. Ce chantier titanesque est inauguré le 30 octobre 2023 comme site culturel dédié à la francophonie. La région Hauts-de-France est le terreau d’écrivains tels qu’Alexandre Dumas – le musée Alexandre Dumas se situe à Villers-Cotterêts – Jean Racine, Jean de la Fontaine, Paul Claudel ou encore Jules Verne, Marguerite Yourcenar, non évoqués dans la salle d’introduction dédiée à l’attractivité du pays du Valois. L’enjeu est sans doute moins de devenir un carrefour régional, même si cette dimension se trouve évoquée en préambule du parcours, que d’offrir une vision de la riche dimension internationale de la francophonie.

Lorsque le visiteur pénètre dans le hall d’accueil, il trouve à sa gauche la billetterie à laquelle est accolée une petite salle d’exposition temporaire. Sur sa droite se trouve une librairie-boutique, un café-salon de thé et, en face, des salles de réunion et un auditorium. Des locaux sont aménagés pour l’accueil des chercheurs dans le domaine linguistique, des studios pour des résidences d’enseignants, d’intellectuels et d’artistes. Situé au premier étage du logis royal, entre interactivité et ludisme, le parcours permanent en trois sections se répartit en quinze salles, et est précédé d’une salle d’introduction présentant le château et son territoire.

Projet politique, contenu scientifique, expérience numérique ?

« Premier lieu dédié à la langue française, par le cinéma, l’écriture, la littérature, le théâtre », Rima Abdul Malak, ministre de la Culture.

Le parcours permanent de la Cité offre une immersion complète au cœur de la langue française. Emmanuel Macron souhaite mettre à l’honneur et faire honneur, dans ce « château de la francophonie », aux figures essentielles que sont les écrivains, les comédiens, les traducteurs, les professeurs, en bref, ceux et celles qui, constamment, transmettent et font vivre le français. L’ambition de la Cité est d’expliquer, échanger et nourrir les recherches autour de la manière dont la langue française s’est formée et se formera.

Le parcours permanent est élaboré par un commissariat indépendant composé de Xavier North, Barbara Cassin, Zeev Gourarier, et Hassane Kassi Kouyaté. Emmanuel Macron n’avait pas vocation à intervenir dans le propos muséographique du parcours, afin que ce dernier réponde à un caractère scientifique. Mais peut-on parler de la langue française dans sa dimension francophone sans aborder ses aspects politiques ?

Une soixantaine de dispositifs de médiation et d’objets exposés sont prêtés par des institutions nationales et internationales telles que le musée national des Arts asiatiques – Guimet (Paris), le MUCEM (Marseille), le musée de la Civilisation du Québec (Canada) ou encore l’Académie Française, et des créations artistiques contemporaines ponctuent le parcours, à l’instar des Tours de Babel dans le monde (1991) de Chéri Samba. Dans chaque salle, de nombreux dispositifs numériques occupent l’espace que le visiteur est invité à expérimenter : quelles sont les vocations de ces dispositifs ? Sont-ils destinés à tout public ?

Dans la séquence « Une invention continue », des dispositifs numériques sont présentés comme « La leçon d’orthographe » animée par les humoristes Arnaud Hoedt et Jérôme Piron. Linguistes de formation, ils trouvent que les Français sont peu exigeants, non pas avec leur propre orthographe ou celle des autres, mais avec l’orthographe elle-même. Ici, il ne s’agit pas de juger la langue, mais bien l’orthographe. La frontière entre l’orthographe et la langue elle-même est fine. Mais l’orthographe n’est pas la langue, l’orthographe c’est l’écriture de la langue. Sur un écran positionné face au visiteur, les deux humoristes énoncent un mot prononcé d’une seule façon mais avec deux propositions d’orthographe (par exemple, « mécanique » et « méchanique »). Quelques secondes sont laissées au visiteur pour se placer à gauche ou à droite de l’écran, en fonction de son choix. Puis la réponse correcte est donnée. Aucun score n’est attribué et aucun jugement n’est appliqué, seulement une histoire de l’étymologie. À la question « est-ce que ça se dit ? », Arnaud et Jérôme répondent invariablement « oui, tu viens de le faire ». Leur objectif à travers ce dispositif est alors de dédramatiser les fautes commises, et de pouvoir améliorer son orthographe par le jeu. Pour ces deux linguistes, la simplification de l’orthographe serait un nivellement par le haut à tout problème d’orthographe car les personnes ne feraient pas moins bien, mais mieux. Cette dictée un peu particulière décomplexe vis-à-vis des exigences de ce type d’exercice, et permet de souligner avec malice les incohérences et exceptions qui constituent la norme de la langue française. Ce dispositif, qui donne à voir les subtilités de la langue française, peut s’adresser à tout public, enfant, adolescent, comme adulte, car c’est un soutien pour découvrir, apprendre, ou améliorer, sa grammaire. Néanmoins, ce dispositif manque le défi de la traduction en une autre langue pour les étrangers ne parlant pas ou difficilement la langue française, afin que ces derniers puissent toutefois participer au jeu.

D’autres dispositifs numériques concernent la norme et l’usage des mots. Sur des tablettes tactiles, des questions de genre sont posées au visiteur. Comme pour « la leçon d’orthographe », pas de mauvaise réponse. Un graphique apparaît ensuite et permet au visiteur de prendre connaissance, comme dans un sondage, des statistiques et du pourcentage de personnes qui ont répondu comme lui, ou autrement. Par exemple, un sondage demande si l’on dit « une auteur », « une auteure », ou « une autrice ». Pour chaque question, toute réponse est valide, seulement le pourcentage varie. En date du 16 novembre 2023, le bilan était de 47% pour une auteur, 26% pour une auteure, et 26% pour une autrice.

Donner des réponses, susciter des réflexions, explorer de manière décomplexée les espaces afin d’en apprendre davantage sur l’étymologie des mots et les idiomes, tel est un des objectifs de la Cité internationale de la langue française. Afin de démontrer que le français se diffuse au-delà des frontières de l’hexagone et que la langue est nourrie, métissée par les échanges qu’elle peut entretenir avec d’autres langues, la Cité développe des propos qui ne concernent pas que la France métropolitaine : les dispositifs et expôts s’ouvrent notamment au Québec et aux DOM-TOM.

Et par-delà la France ?

« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir », Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, 1956.

Dans la section « La langue des lumières », des auteurs et poètes noirs tels que Léon-Gontrans Damas, Aimé Césaire ou encore Léopold Sédar Senghor sont présentés. Ce dernier est l’âme de la francophonie, qui est une conséquence de la colonisation sans en être la construction. Bien conscient que son éducation française et son identité sénégalaise mariaient des contraintes, il mit sa réflexion à la recherche des communs et de ce qui nous rapproche plutôt que ce qui nous distingue. Senghor considérait que son identité sénégalaise et sa culture ouest-africaine avaient contribué, comme pour d’autres auteurs ultra-marins, à enrichir la langue française de nouvelles couleurs. C’est pourquoi la Cité internationale de la langue française insiste sur le fait que le français est la troisième langue étrangère la plus parlée sur le continent africain, avec un peu plus de 120 millions de locuteurs.

Dans la même section, le dessinateur et poète ivoirien Frédéric Bruly Bouabré est l’inventeur d’un alphabet pour le peuple bété. Cette écriture spécifique créée par cet artiste a pour objectif de sauver de l’oubli la culture de ce peuple. Sur le pourtour des cartes dessinées exposées en tant que tableaux, des thèmes universalistes tels que la démocratie, les droits des femmes et des images populaires sont représentés.

Entre des origines grecque, latine, ou encore arabe, la langue française se diversifie et s’étend sur différents continents, mais des tensions peuvent être pointées :  si la langue française prédomine dans des pays où l’usage du français est le résultat de la colonisation massive du XIXe siècle, est-ce au risque de voir s’amoindrir les langues natives ? Il convient, comme le fait Frédéric Bruly Bouabré, de revivifier cette langue native en lui accordant une importance accrue, voire particulière, afin de mettre en valeur des peuples africains, et de lier culture et langage dans des usages internationaux.

Le propos est aussi de montrer que la langue française a adopté des mots venus d’ailleurs. Dans la section « Une langue en mouvement », un dôme, sous la forme du ciel étoilé du Jeu de Paume, présente une cartographie du monde avec des mots provenant de divers horizons. « Abricot » vient de l’arabe « al-barquq », lui-même calqué sur le latin « praecox », puis passé à l’espagnol « abaricoque » (1330), au catalan « albercoc » (fin XIVè siècle), au provençal « aubricot, ambricot, albricot » (1525), et à l’italien « albicocco ». « Sport », emprunté à l’anglais se trouvant ensuite dans le vieux français « desport », signifie à l’origine « le divertissement, l’amusement », et est associé au plaisir physique et de l’esprit. La langue française est donc une langue métissée, commune d’une francophonie riche de plusieurs cultures et origines.

Et après ?

« La langue française unit, permet de partager un passé mais aussi de vivre au présent et d’inventer un avenir commun », Marie Lavandier, présidente du Centre des monuments nationaux.

Le sujet de la langue est pour le moins sensible, quand est envisagée la langue française comme langue coloniale. En comparaison, il peut sembler querelle de chapelle de s’attarder sur la langue au prisme de l’orthographe, de la langue inclusive, du genre, mais c’est le parti-pris de cet article. Chaque modification de l’orthographe fait l’objet de tribunes enflammées, et chaque entrée dans le dictionnaire de l’Académie française provoque de nombreux désaccords. Le ciel de mots est déjà un acte politique en choisissant des mots de dialecte, patois, des régionalismes, des mots récemment entrés dans les dictionnaires. À titre d’exemple, le mot « wassingue », un régionalisme du Nord signifiant « serpillère », ne relève pas d’un français académique, et les habitants des autres régions de France n’ont pas connaissance de ce vocabulaire. Ceux qui utilisent le mot « wassingue » argueront que ce mot est français, car venant d’une région française, les Hauts-de-France, même si ce mot francisé est emprunté au flamand « wassching » (« action de laver »).

Entre vocation éducative, culturelle et artistique, ce lieu ambitionne de devenir un pilier majeur de la diffusion et la préservation de la francophonie à travers le monde. Modernité oblige, interactivité et immersion sont au rendez-vous. À l’image d’une langue française caractérisée par sa diversité, vivifiée et réinventée en permanence, les dispositifs numériques devront ne pas manquer d’être réactualisés au fil des générations. Même si des contenus comme dans la salle des humoristes font date par leur exemplarité, certains contenus devront être réactualisés. La question de la maintenance et du renouvellement du contenu se posera à terme.

Séléna Bouvard

Université d’Artois, Master Expographie Muséographie

 

Pour en savoir plus :

La faute de l’orthographe, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, TEDxRennes 

Podcastics, La Cité internationale de la langue française. Découverte d’un nouveau lieu culturel au château de Villers-Cotterêts

Radio France, Cité de la langue française : le français, éternel enjeu politique


Pour citer cet article:

Séléna Bouvard, « Cité internationale de la langue française », dans L'Exporateur. Carnet de visites, May 2024.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/cite-internationale-de-la-langue-francaise/, page consultée le 04/05/2024.