Carnet de visites

18/10/2011

Boris Vian (exposition en ligne)

Bibliothèque nationale de France – site Richelieu Commissaire(s): Anne Mary

 

2020 est une année Vian : cet artiste inclassable aurait eu cent ans le 10 mars. À cette occasion, les festivités prévues et les rééditions de ses œuvres sont nombreuses, mais on peut également (re)visiter virtuellement la riche exposition monographique que lui consacrait il y a huit ans la Bibliothèque nationale de France. Réalisée à partir de son important fonds Boris Vian et grâce à la collaboration de plusieurs spécialistes (conservateurs, universitaires, mandataire de ses ayant-droits et autres passionnés), le site pérennise, transpose et enrichit habilement l’exposition temporaire foisonnante qui avait offert, du 18 octobre 2011 au 15 janvier 2012 à la Bibliothèque François-Mitterand, un parcours abondamment documenté et illustré à travers la vie et l’œuvre de cet homme de lettres.

À l’entrée du site, Boris Vian nous accueille en personne et sourit discrètement derrière son manuscrit. Son regard franc et malicieux accompagnera toute notre visite. Le sommaire en contrebas propose plusieurs entrées, dont on comprendra mieux grâce à l’onglet « plan du site » (invisible à ce stade) qu’elles sont organisées en trois principales sections autonomes : « En images », « Dossier » et « Repères ». Peu importe si la structure du site nous échappe encore, suivons donc l’ordre suggéré. Le premier onglet, « En images », donne d’abord accès à un bel album présentant la vie et les œuvres de Vian en vingt-trois illustrations et photos issues des archives de la BnF et de la Cohérie Boris Vian. Après une courte introduction, plusieurs possibilités s’offrent à nous : feuilleter l’album, lancer un diaporama ou passer d’abord par la « planche contact » qui en propose une vue synoptique. Ces différentes options permettent d’explorer librement une matière visuelle numérisée en haute qualité (la fonction « loupe » en témoigne) et efficacement enrichie par des commentaires que le visiteur peut lire comme s’il s’agissait de cartels. Cette sélection de photos, manuscrits et documents divers (couvertures de livres ou de revues, tableaux, affiche) constitue une synthèse chronologique de la courte vie de Vian et donne d’emblée la mesure de son éclectisme et de la variété de ses activités.

Prolongeant ensuite l’exposition réelle, la section « En images » réserve une précieuse surprise : la possibilité de feuilleter et de lire d’importants extraits des manuscrits autographes de L’Écume des jours (1946) et J’irai cracher sur vos tombes (1946), acquis en 1990 par la BnF. Ils sont jalonnés de nombreux commentaires ou légendes, et ponctuellement accompagnés d’extraits audio, lus par le chanteur Arthur H pour le premier et l’acteur Denis Lavant pour le second. De plus, Anne Mary, commissaire de l’exposition et conservatrice au département des manuscrits de la BnF, propose une « introduction audiovisuelle » de L’Écume des jours qui réjouira les internautes les plus bibliophiles ou les plus curieux : on découvre alors de très près la matérialité d’un manuscrit habituellement réservé aux chercheurs accrédités. La reliure d’art créée spécialement pour lui par Sün Evrard en hommage au nénuphar qui entoure les poumons de Chloé dans le roman est superbe, et met en valeur la liasse de feuillets initiale ; Anne Mary souligne que l’œuvre fut écrite quasiment d’un seul jet au dos de formulaires de l’Afnor (Agence française de normalisation), du temps où Vian y travaillait comme ingénieur.

La deuxième section du site, « Le dossier », s’éloigne du format « exposition virtuelle » précédemment investi pour présenter une étude précise dédiée à cette « œuvre aux multiples facettes ». Chaque chapitre est rédigé par un contributeur ou une contributrice spécialiste du domaine dont il est question (Alain Tercinet pour le jazz, Marc Lapprand pour les romans) ou plus généralement de Boris Vian (Nicole Bertolt, Anne Mary, François Roulmann, Christelle Gonzalo). Tous ces textes sont accompagnés d’illustrations que l’on peut agrandir et imprimer sous forme de facsimilés avec notices. Derrière le nom de Vian, on retrouve à la fois ici le personnage public, le fou de jazz, le jeune romancier prometteur, sulfureux et finalement déçu, le brillant pataphysicien, le dramaturge occasionnel, le parolier et interprète de chansons et le directeur artistique. Le chapitre consacré à « l’affaire J’irai cracher » est particulièrement remarquable : à travers un savoureux pastiche, François Roulmann se compose un rôle de traducteur pour rapporter les propos d’un journaliste américain fictif, au sujet du non moins fictif Vernon Sullivan. Voilà une astucieuse présentation de ce double de Vian, de ses œuvres et de la polémique qu’elles ont suscitée entre 1946 et 1950. « Que le soufre et le succès liés aux romans de son alter plus ou moins ego aient handicapé la carrière d’écrivain de Boris Vian, c’est aujourd’hui un triste mais objectif constat. Puisse la Pléiade réhabiliter l’un comme l’autre ! », conclut le journaliste imaginaire, rappelant au passage la concomitance entre l’exposition et un événement éditorial d’importance : la publication des Œuvres romanesques complètes de Vian (celles signées Sullivan comprises) dans l’illustre collection de Gallimard. Enfin, adossé à une solide bibliographie, le chapitre final de Christelle Gonzalo clôt ce dossier par une mise en perspective éclairante de la postérité de ce « spécialiste de tout » (expression empruntée à son Traité de civisme) : elle explique comment, par un étonnant renversement de situation, le personnage public qui défrayait la chronique entre 1946 et 1959 est devenu un écrivain reconnu dont l’œuvre est constamment redécouverte, rééditée, traduite et étudiée depuis les années 1960.

À l’instar de celle présentée à la BnF François-Mitterrand en 2011-2012, cette exposition virtuelle semble destinée au grand public, du moins dans sa première partie (« En images »), alors que les développements plus approfondis du « Dossier » intéresseront plus certainement les chercheurs et les passionnés. Cela pourrait expliquer les redondances d’une partie à l’autre en termes de formulations et de choix d’images, qu’une lecture exhaustive du site permet d’identifier. La section « Repères » offre ensuite un troisième type d’approche de l’homme et de son œuvre sous la forme d’une compilation d’outils, utiles ou plaisants, pour retenir l’essentiel et aller éventuellement plus loin (chronologie, bibliographie sélective, choix de citations et liens vers les ressources disponibles sur d’autres sites de la BnF). Enfin, une dernière section composite confirme que l’objectif de cette exposition, dans ses formes réelle et virtuelle, est bien de toucher une grande diversité de publics. La page « action pédagogique », qui avait pour vocation originelle de renseigner concrètement les enseignants et organisateurs de visites scolaires (d’où le statut obsolète de certains liens), met toujours à disposition une fiche très réussie, « L’inclassable Boris Vian », ainsi qu’un document « Parcours dans l’exposition » donnant accès a posteriori à sa scénographie. La page « Enfants » s’adresse à un public plus jeune encore, en promouvant et en tirant parti de la parution concomitante d’un Abécédaire en 26 chansonnettes, composé à partir de textes de Boris Vian et d’illustrations de Tomi Ungerer.

Enfin, alors que l’on pense être arrivé au terme du parcours en consultant les « informations » finales (sur l’exposition, la publication qu’elle a suscitée et les crédits), un dernier document fort appréciable nous est offert : une visite guidée en vidéo de l’exposition réelle par Anne Mary, que l’on conseillerait de visionner en guise d’introduction à l’exposition virtuelle. En dépit d’une structure parfois peu claire, le site possède donc de nombreuses qualités et devrait rester une ressource documentaire exploitable à la fois par les chercheurs et par toute personne souhaitant mieux connaître ce polygraphe mésestimé de son vivant, devenu classique de la littérature française du XXe siècle.

 

Marianne Di Benedetto

CELLAM – Université de Rennes 2


Pour citer cet article:

Marianne Di Benedetto, « Boris Vian (exposition en ligne) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Oct 2011.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/boris-vian-exposition-en-ligne/, page consultée le 23/04/2024.