Carnet de visites

03/01/2018

Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves (Nantes)

Château des Ducs de Bretagne Commissaire(s): Patrice Allain, Marion Chaigne

 

Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves. Château des Ducs de Bretagne (Nantes) du 11 février au 28 mai 2017

 

Affiche Aux origines du surréalismeCette exposition sur le groupe pré-surréaliste nantais, à laquelle a collaboré Patrice Allain, déjà commissaire de Nantes et le Surréalisme, le rêve d’une ville (1995), prend place au Château des ducs de Bretagne dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Elle résulte d’un partenariat entre le musée d’histoire de Nantes et la Bibliothèque municipale qui est, grâce à sa politique volontariste, l’une des premières collections publiques consacrées au surréalisme. Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves participe sans nul doute à un mouvement de valorisation d’un patrimoine littéraire et artistique local. Elle n’est pas pour autant dénuée d’ambition, notamment en matière de scénographie, qui s’avère un atout précieux lorsqu’on a affaire à une exposition à la fois historique, littéraire, patrimoniale et portant de plus sur un collectif. L’initiative était en soi une gageure. Elle doit d’autant plus être saluée au vu du résultat.

 

Une bande de jeunes nantais

L’exposition retrace le parcours du « groupe des Sârs » ou « groupe de Nantes », composé de Jacques Vaché, Eugène Hublet, Pierre Bisserié et Jean Sarment qui se rencontrent au Lycée de Nantes, « invent[eront] le mouvement dada », comme l’écrira l’un d’eux au début des années 1920, et seront séparés par la Grande Guerre.

Les quatre protagonistes sont introduits par des portraits photographiques et une liste impressionnante des pseudonymes que chacun utilisait. C’est que ces quatre jeunes garçons signent des croquis et dessins, des poèmes, des chroniques, du théâtre et des textes polémiques, notamment dans les revues de jeunesse qu’ils éditent, En Route mauvaise troupe puis Le Canard sauvage, avec un esprit toujours potache qui vaudra néanmoins le conseil disciplinaire à Sarment pour antimilitarisme…

Dans cette première section très documentée, si l’on perçoit la diversité des talents au sein du « groupe » (la caricature pour Bisserié et Vaché ; le théâtre, surtout, pour Sarment et Hublet), on peine un peu à voir émerger les prémisses du surréalisme, en particulier la remise en question du langage ou l’écriture automatique…

Le sous-titre mystérieux de l’exposition, Cendres de nos rêves, fait référence à un chapitre du roman Cavalcadour de Jean Sarment, qui évoque la dernière réunion du groupe des Sârs avant qu’ils ne soient séparés par l’Histoire. L’accrochage dramatise à juste titre la rupture de la Première Guerre mondiale qui va détruire physiquement ou mentalement les quatre hommes. Ceux-ci partagent d’ailleurs un profond dégoût de la guerre, qui se lit autant dans les lettres d’Hublet, qui sera tué par un éclat d’obus, que dans celles de Vaché, dont on connaît le cinglant « J’objecte à être tué en temps de guerre ». On le découvre plus désespéré encore dans des lettres comme celle à Jeanne Derrien (20 février 2017) où il dénonce de façon très virulente « le règne de la Boue ».

Le mur de cette deuxième séquence, « La Guerre » est composé principalement d’agrandissements de petits dessins de Vaché en temps de guerre, qui, tout en travaillant alors comme interprète, affine son trait qui devient de plus en plus mordant. On suit aussi dans cette séquence les débuts de la carrière théâtrale de Sarment, en route vers sa consécration au Théâtre du Vieux-Colombier.

 

La figure de Jacques Vaché au cœur

Vaché parle au nom de tous lorsqu’il évoque la « désertion intérieure », à laquelle pousse la guerre, et développe son concept d’« Umour ». Malgré une entrée en matière très collective de l’exposition, la figure de Jacques Vaché surnage rapidement, dès les dessins de jeunesse, comme les illustrations pour « James Jack tueur de poules » (1913-1914) ou les dessins de dandy, symbole d’une mode masculine moderne qui l’inspirait beaucoup, au même titre que le cinéma.

La figure du « dandy nantais » doit beaucoup à la rencontre avec André Breton autour de laquelle semble en réalité structurée l’exposition. L’estime en laquelle Breton tenait et Vaché et la ville de Nantes est en général connue et on se souvient de la déclaration du Manifeste du surréalisme, « Jacques Vaché est surréaliste en moi ». Breton est en effet séduit par son désespoir radical et une forme de nihilisme ironique qui se trouve illustrée dans l’exposition par un portrait photographique que le jeune Vaché utilisait comme cible pour tirer à la carabine en 1913-1914.

La rencontre avec Vaché est bien un épisode fondateur et les Lettres de guerre font figure d’oracle pour Breton – une impression de culte que transmet remarquablement la composition de la vitrine consacrée à l’édition de ces lettres par Breton en 1919, présentée près du sceau de Vaché. Breton, qui est alors infirmier militaire à Nantes, rencontre à l’hôpital Vaché blessé en 1915 lors d’une explosion d’un sac de grenades. Cette rencontre est utilement contextualisée dans une section en coin, « Enfer et paradis artificiels », puisque cette génération eut souvent recours aux drogues à la suite de blessures. Bisserié devient ainsi morphinomane et souffrira le reste de sa vie d’épisodes délirants et dépressifs. Quant à Vaché, il mourra d’une overdose d’opium le 6 janvier 1919. Accident ou suicide, la question reste ouverte, mais le diplôme « Mort pour la France » que reçoit sa famille après coup est en tout cas bien ironique !

La dernière section de l’exposition « Les Aubes du surréalisme » se termine sur la relation du groupe de Sârs (mais surtout de Vaché) avec le groupe surréaliste, notamment avec Breton, mais aussi avec Apollinaire – on découvre avec surprise une lettre de Vaché à sa mère où il explique avoir exécuté des maquettes théâtrales pour Parade, le fameux ballet de Satie, Cocteau et Picasso. On trouve aussi des hommages à Vaché de la part de Louis Aragon, Paul Nougé et, plus près de nous, Stanislas Rodanski, surréaliste véritablement hanté par la figure du poète dont il a fait des portraits imaginaires alors qu’il était interné en psychiatrie dans les années 1950.

En cette fin d’exposition, l’espace se fait exigu et l’accrochage très dense. Fort heureusement, la scénographie vient à la rescousse et propose une solution originale d’agrandissements d’entrefilets d’époque sur la mort de Vaché, qui s’intercalent entre les unica (lettres, dessins, manuscrits), par exemple le télégramme adressé par l’hôpital à Breton qui cherchait à joindre son ami.

 

Scénographie tapageuse vs. vieux papiers

Exposition "Aux origines du surréalisme - Cendres de nos rêves" - © Bernard Renoux/LVANLa scénographie inventive est en effet l’un des éléments les plus réussis de cette exposition. Elle se déploie en particulier dans l’espace central, « Le Front des arts », où l’on découvre le goût de ces écrivains en devenir pour les arts modernes, notamment pour le cinéma. Dans une grande table vitrine, au centre, des cartes postales de vedettes de l’époque évoquent, avec des témoignages écrits (en particulier sur le personnage de Musidora) et une projection, leur relation au cinéma américain.

On comprend dans cet espace central la volonté de montrer non seulement un ensemble d’auteurs, mais plutôt un effet collectif, voire une génération. C’est là une gageure de plus pour cette exposition littéraire qui ne renonce pas à montrer beaucoup de textes, manuscrits ou imprimés, et qui n’hésite pas même à les accompagner de textes encore. S’il crée une tension palpable entre unica et explications, ce choix doit être salué. En effet, à l’heure où l’on voit de moins en moins de textes sur les murs des expositions, les cartels sont ici développés, précis, ambitieux. Bref, ils sont ce qu’aurait pu ou dû être le catalogue.

Cette exposition foisonnante fait ainsi le pari d’une scénographie ambitieuse : des douches sonores qui donnent à entendre des témoignages de la première période (Sarment racontera beaucoup le groupe des Sârs…) et surtout des panneaux jaune vif présentant d’importants moyens iconographiques, notamment pour le mur d’accueil sous forme de pêle-mêle et le mur reproduisant, très fortement agrandis, les petits croquis réalisés par Vaché pendant la guerre, qui évoquent parfois Sempé. L’effet est réussi, notamment parce qu’il contraste fortement avec le mode de lecture des vitrines, où règne le petit – petits caractères à déchiffrer, petits papiers, petits objets, comme les amulettes ou les effets personnels de Vaché.

Aussi l’utilisation massive de l’iconographie dans une exposition littéraire est-elle dans Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves un pari particulièrement réussi. Une scénographie « qui se voit » vient servir une ambition tant historique que patrimoniale dans cinq séquences très denses. C’est que l’espace alloué au sein du Château des ducs de Bretagne était limité, mais une programmation liée particulièrement riche (conférences, projections, spectacle de Philippe Pigeard d’après les Lettres de guerre, déambulation nantaise, exposition de livres pauvres de Daniel Leuwers en hommage à Jacques Vaché, etc.) compensait heureusement cette contrainte.

 

Anne Reverseau
(KU Leuven / FWO)
janvier 2018

 

Commissariat général : Marion Chaigne, conservatrice responsable du service Patrimoine de la Bibliothèque municipale de Nantes

Commissariat scientifique : Patrice Allain, maître de conférences à l’Université de Nantes

Scénographie : Raphaël Leray, Les designers graphiques

Pas de catalogue mais le livre de Patrice Allain, récemment paru, a servi de base à l’exposition : Jacques Vaché et les Sârs, aux origines du surréalisme, Nantes, Joseph K. Eds, 2018.

Le dossier de presse est très complet.

Écouter l’interview de Patrice Allain par Virginie Beernaert sur Jacques Vaché et le surréalisme, sur Radio Prun, 15 février 2010, volet 1, 2 et 3.

Écouter aussi l’émission Une Vie, une Œuvre intitulée « Jacques Vaché, le détonateur » diffusée le 20 juin 2015 sur France culture.


Pour citer cet article:

Anne Reverseau, « Aux origines du surréalisme. Cendres de nos rêves (Nantes) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Jan 2018.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/aux-origines-du-surrealisme-cendres-de-nos-reves-nantes/, page consultée le 28/03/2024.