Carnet de visites

01/02/2017

Utopia (Louvain)

Bibliothèque universitaire de Louvain Commissaire(s): Jan Van der Stock, Annelies Vogels, Erik De Bom, Dirk Sacré, Demmy Verbeke, Toon Van Houdt

 

À la recherche d’Utopia, Musée M (Louvain) et Utopia & More, Bibliothèque universitaire de Louvain (Louvain), du 20 octobre 2016 au 17 janvier 2017

 

En 2016, la ville de Louvain (Belgique) a fêté le cinq-centième anniversaire de la publication d’Utopia de Thomas More. La ville a décidé d’y consacrer plusieurs événements, dont deux expositions, l’une au Musée M, l’autre à la bibliothèque centrale de l’université. Celle au Musée M À la recherche d’Utopia expose quelques quatre-vingts objets, majoritairement artistiques mais aussi religieux et scientifiques. L’exposition à la bibliothèque Utopia & More montre surtout des documents écrits tels que des livres, des lettres et des manuscrits. Les deux musées partent d’un moment ponctuel et précis qui leur permet d’évoquer l’imaginaire autour de More : la publication de son livre. Le Musée M expose la pièce principale, la première édition d’Utopia, publiée en 1516 par l’imprimeur Dirk Martens à Louvain. La bibliothèque a choisi, elle, de mettre en avant une édition française de 1715 qui contient de belles gravures. À travers ces livres, les deux expositions révèlent le contexte culturel de l’époque humaniste, une thématique qu’elles élargissent en multipliant graduellement les perspectives sur le sujet, au risque, par endroits, d’une perte de cohérence. Le Musée M va décidément le plus loin dans cette entreprise, sans doute en raison de la diversité de ses supports artistiques. La bibliothèque universitaire, plus limitée dans son matériau, établit un récit plus cohérent.

 

À la recherche d’Utopia au Musée M : un éloge de la ville de Louvain

Première salle : vitrine contenant une édition précieuse d’Utopia du XVIII siècle. Photo T. Serpieters.Avant d’accéder à la salle qui expose l’édition originale d’Utopia, le spectateur est invité à s’installer devant un écran qui montre Thomas More et l’impression de son livre. « L’Utopie de Thomas More est imprimé à Louvain » apprend-on. Ensuite, c’est dans la première salle, intitulée « Un petit livre d’or de Louvain conquiert le monde », où se trouve tout au milieu, dans une vitrine, le volume original d’Utopia et dans une autre, derrière la première, une série de rééditions et traductions ultérieures. Le visiteur l’a bien compris à ce stade : le livre est présenté comme une partie essentielle du patrimoine culturel de la ville et comme le signe de sa grandeur intellectuelle et artistique, comme si Louvain était le seul endroit où ce livre aurait pu être imprimé. La grande xylographie de la ville de Louvain, côtoyant l’original d’Utopia, amplifie encore le rôle de la ville flamande, tandis que l’audioguide nous fait remarquer qu’ « on n’est pas loin de l’imprimerie » où la magie a eu lieu. Les portraits d’humanistes tels qu’Érasme et Pieter Gillis, rassemblés au fond de la salle, corroborent aussi l’idée que l’humanisme de Louvain, et plus largement celui des Pays-Bas, a eu sa part dans l’élaboration d’Utopia. Le message est clair : sans Érasme et sans Pieter Gillis – le portrait de ce dernier le montre avec le volume d’Utopia et une lettre de More dans la main – Utopia n’aurait jamais vu le jour. La disposition des portraits de ces humanistes, derrière le livre, soutient l’idée que l’humanisme des Pays-Bas était indispensable pour Utopia. Ils ne sont pas seulement derrière le livre au sens strictement spatial, mais aussi et peut-être surtout au sens métaphorique. Ce sont les esprits de l’humanisme qui, dans le fond et en cachette, font que les choses adviennent sans qu’on s’en aperçoive.

La suite de l’exposition s’éloigne du livre de More pour montrer la sinuosité de l’esprit humain dans sa quête utopique au sens large. Les deux salles suivantes « Au-delà d’Utopia » focalisent sur la recherche d’un au-delà céleste et inversement sur la rencontre dystopique avec l’enfer. L’un des objets les plus intéressants sont les « Jardins clos de Malines » qui remplissaient, pour les sœurs de Malines du XVIe siècle, la fonction spirituelle de recréer le ciel sur terre. Les autres salles interprètent la quête de l’utopie d’autres façons encore. Ainsi, dans la salle « Derrière l’horizon. Représentation de l’inconnu », des objets tels que des mappemondes, des atlas, des tapisseries, évoquent les expéditions au nouveau monde. Plus loin encore, la salle « L’univers dans la main » présente la recherche d’une utopie comme une tentative de maîtriser l’univers, évoquée par des objets tant artistiques que scientifiques. Un excellent exemple de la façon dont art et science permettent de réaliser la conquête de l’espace est le Portrait d’une jeune fille de Jan Gossaert (1530) qui tient une sphère armillaire dans la main, un objet qui permet de déterminer les mouvements des étoiles et du soleil. Le spectateur est à la fois invité à regarder la peinture et l’objet en question. La juxtaposition de ces deux objets de nature artistique et scientifique produit un intéressant effet de métalepse, régulièrement exploité dans les autres salles, qui constitue certainement l’un des atouts de l’exposition du Musée M.

 

Utopia & More : Thomas More, une célébrité de Louvain

L’exposition à la bibliothèque universitaire donne une impression similaire à celle du Musée M. Le titre de l’une des peintures, qui se trouve un peu cachée avant l’entrée de l’expo proprement dite, est significative quant à l’enjeu de celui-ci : « Thomas More en tant qu’homme célèbre de Louvain ». Louvain est important pour l’humanisme de l’époque et le livre de More est clairement mobilisé comme témoignage de ce succès. L’un des panneaux de la dernière salle le dit sans ambages : l’humanisme de Louvain, et en particulier l’Utopie de More, est une contribution décisive au patrimoine culturel mondial. L’expo est organisée en deux grandes parties. La première se concentre sur « La vie et l’œuvre de Thomas More » et la deuxième traite de la « Tradition utopique » qui vise surtout à répertorier le genre de l’utopie dans ses formes plus modernes (de Karl Marx à Jules Verne, en passant par Aldous Huxley). La première salle  contient, dans une vitrine au milieu, une édition précieuse d’Utopia du XVIIIe siècle, dotée de gravures. Agrandies, ces gravures accueillent le visiteur en évoquant la vie, les activités et les mœurs dans le monde utopique de More. La lumière tamisée de la salle, en opposition avec la lumière éclatante des gravures, facilite l’entrée mentale dans ce monde fictif. La salle suivante présente « La vie et l’œuvre » de More. À droite on voit son arbre généalogique, à gauche les moments clés de sa vie. Les vitrines de cette salle contiennent une riche sélection de livres qui montrent que Thomas More était un écrivain aux multiples talents. Manifestement il écrivait des poèmes et il faisait aussi des traductions d’écrivains antiques. Ensuite, dans la plus grande salle « Thomas More et les Pays-Bas », des documents de différents types montrent les nombreuses relations qu’avait More avec les humanistes des Pays-Bas comme Pieter Gillis, Dirk Martens, Franciscus van Cranevelt et d’autres. Leurs lettres – dont le style nous rappelle que l’écriture épistolaire était pour eux une forme de littérature – constituent le témoignage le plus clair d’une époque humaniste que l’exposition cherche clairement à nous faire revivre.

 

Tom Serpieters (FWO – KU Leuven)
février 2017

 

Commissariat et scénographie : Jan Van der Stock et Annelies Vogels (M Museum) & Erik De Bom, Dirk Sacré, Toon Van Houdt et Demmy Verbeke (Bibliothèque universitaire).

Catalogues : Op zoek naar Utopia, s. dir de Jan Van der Stock, Davidsfonds Uitgeverij (NL) & Amsterdam University Press (EN), 2016 59€99 & Utopia & More, s. dir. de Dirk Sacré, Erik de Bom, Demmy Verbeke, Gilbert Tournoy, Leuven University Press, 2016, 49€50.

Présentation vidéo ILUVLeuven : 500 jaar Utopia in Leuven/ 500 ans d’Utopia:

 

 


Pour citer cet article:

Tom Serpieters, « Utopia (Louvain) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Feb 2017.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/a-la-recherche-dutopia-6/, page consultée le 18/04/2024.