Quand la création s’empare de l’édition

bandede, Bruxelles, 2018 / collectif / Sérigraphie, risographie, laser et interventions manuelles

Quand la création s’empare de l’édition

Appel à contribution au colloque international du 12 au 14 novembre 2025

Université de Lille/ Domaine & Musée Royal de Mariemont/ Université de Louvain-La-Neuve

Lieu : LILLIAD Learning Center Innovation de l’Université de Lille : 2, avenue Jean Perrin – 59650 Villeneuve d’Ascq – France

Comité organisateur :

DELLEAUX, Océane (Université de Lille/CEAC)
LAGHOUATI, Sofiane (Domaine & Musée royal de Mariemont/UCLouvain)
LAHOUSTE, Corentin (FNRS– UCLouvain/ Domaine & Musée royal de Mariemont)
JUSTE, Carlijn (University of Groningen/ICOG ; Université de Lille/CEAC)

Présentation :

Bien que récente, l’histoire de l’édition d’artiste contemporaine (multiples, livres, affiches, ephemera, zines, disques, cédéroms, cartes, etc.) n’en est plus à ses tâtonnements. Ainsi, les travaux d’une première génération d’observateur·rices de l’art, au cours des années 1960 et 1970, ont suscité un remarquable élan et exprimé le désir de la démocratisation de l’œuvre au moyen de sa reproduction et de sa diffusion. La fin des années 1980 et les deux décennies suivantes ont vu quant à elles éclore de nombreuses productions théoriques qui en soulignaient les obstacles, voire l’utopie (Phillpot 2008), mais aussi les mutations engendrées par de nouvelles conditions socio-économiques et techniques (Delleaux 2010).

Un premier changement de régime médiatique du livre dans les années 1990, à la faveur de la globalisation du marché du livre et du développement des Technologies de l’information et de la communication, a eu pour conséquence une « recomposition de l’espace éditorial international […] ainsi [qu’]une intensification de la circulation transnationale des livres » (Sapiro 2009). L’émergence de ce marché « global » a entraîné d’importants phénomènes de glissement du « capital symbolique » vers le « capital économique », en particulier pour les maisons d’édition « arts et belles-lettres », pour lesquelles il était un élément structurel de leur identité.

Progressivement, à l’aune d’un contexte marqué par l’omniprésence du web et la culture numérique (Gervais 2009), se sont développées des éditions d’artistes dématérialisées (éditions audio, numériques, pour téléphones mobiles, applications pour périphériques mobiles, etc.), des pratiques éditoriales hybrides ou physiques susceptibles d’apporter une réflexion peu ou prou délibérée sur leur présence au sein de l’écosystème médiatique dans lequel l’être humain contemporain vit et interagit. Dans son essai consacré à Ce que le numérique fait aux livres (2019), Bertrand Legendre souligne la manière dont les frontières qui séparent traditionnellement l’auteur·e de l’éditeur sont brouillées. Même si le « livre physique » reste le modèle dominant du « fait livre », il paraît désormais subsumé par la culture et l’économie numériques, le contraignant – faute de pouvoir toujours s’y adapter – à jouer avec ses règles et ses codes. Cela est particulièrement patent chez les artistes qui font du livre une relique « blessée » d’un monde finissant (Oberhuber et Laghouati 2019), tandis que les écrivain·es, ou de nouvelles figures créatrices, investissent « les pratiques d’arts littéraires, qui ne
participent pas au grand bal du marché éditorial en préférant des modalités plus exploratoires » (Lahouste et Audet 2023) ou faisant place aux « néolittératures » qui délaissent « le roman, coincé dans le médium livre, se trouve mal adapté au monde contemporain et ses multiples extensions et écrans » (Nachtergael 2020).

À cet égard, des acteur·rices contemporains s’interrogent sur la place de l’édition à l’ère dite « post-numérique » (Ludovico 2012) jusqu’à penser autrement l’édition avec la caractérisation de l’« éditorialisation » (Vitali-Rosati 2016), tandis que la « plateformisation » de l’édition, en modifiant ses modes de production et de diffusion, sa nature et jusqu’à ses acteur·rices, déstabilisent l’écosystème traditionnel du livre : des chaînes de validation éditoriale et de promotion aux valeurs mêmes du secteur. L’édition numérique permet non seulement la coexistence de plusieurs formats et supports (numériques et physiques), mais prend également en charge la diffusion et la distribution : les géants numériques (Amazon, Apple ou Google) ou encore l’usage de l’impression à la demande (IAD) et le recours de plus en plus marqué à l’autoédition sont autant d’éléments indiquant un changement de paradigme dans les processus éditoriaux (Epron et Vitali-Rosati 2018) avec lesquels la création contemporaine est amenée à composer.

Dès lors, il s’avérait opportun d’engager une étude sur les dynamiques et les processus éditoriaux mis en place par les acteur·ices de l’art contemporain (artistes, designer·euses, écrivain·es, éditeur·rices, etc.) et renouvelés par l’usage massif des technologies numériques. L’option de prendre en considération des pratiques éditoriales à la fois physiques et numériques, artistiques mais aussi curatoriales, nous a paru indispensable pour esquisser une histoire de l’évolution de l’édition au XXe siècle.

Dans cette optique, la thématique du colloque pourra être abordée selon les axes de réflexion suivants :

  • Matérialité et numérique : quelle part accorder aux éditions physiques suscitant une réflexion ou s’adaptant à l’intérieur de l’« espace numérique » auquel elles ne peuvent généralement se soustraire ? Quels modèles éditoriaux sont proposés à ces fins : du livre augmenté jusqu’à l’expanded publishing au sein de dispositifs étendus (Luca Lo Pinto 2017) ? Dans quelle mesure un environnement physique peut-il jouer un rôle préfigurateur ou complémentaire dans un processus éditorial de type numérique ?
  • Collaborations et réseaux : au moment où émergent de nouveaux réseaux de diffusion et de distribution sur internet, quelles formes de collaboration, les acteur·rices de l’art instaurent-iels afin d’améliorer la visibilité et l’accessibilité des productions éditées ? À une époque où triomphe l’ « édition sans éditeurs »
    (André Schiffrin 1999), comment la notion d’activité éditoriale est-elle amenée à évoluer ? 
  • Indépendance et alternatives éditoriales : l’expansion des médias sociaux et l’essor des plateformes numériques offrent aux artistes une marge de manœuvre non négligeable. Alors que pour certain·es, l’édition imprimée reste le seul moyen d’échapper à tout contrôle, quel impact ont la fondation d’entreprises d’autoédition (Lulu, Blurb) et les plateformes de publication autonomes comme, par exemple Anonymous Press, sur la production et la diffusion des œuvres ?
  • Présenter, exposer, éditorialiser : eu égard au développement sans précédent des espaces alternatifs mis à la disposition des artistes, quelle place occupent encore les galeries et les institutions publiques ? Comment les artistes et les commissaires explorent-iels les potentialités curatoriales de l’édition ? Par quelles opérations ou suivant quels dispositifs matériels ou immatériels, les artistes et les éditeur·rices réinventent-iels l’accès et la visibilité de l’édition ?
  • Archives et bibliothèques : quels sont les fondements et les finalités des bibliothèques en circulation ou virtuelles, des archives d’éditions d’artistes physiques ou en ligne (Artists’ Books Online, Digital Archives of Artists’ Publishing ou encore UbuWeb) ? Compte tenu de la vulnérabilité intrinsèque de l’édition tant physique que numérique, quels sont les modèles d’accès et de sauvegarde à envisager ?
  • Partage et propriété : face aux médias de masse, qu’en est-il des droits d’auteur au sein de l’édition et de l’éditorialisation ? Quelles alternatives juridiques les artistes et les éditeur·rices mettent-iels en œuvre ? De quelle façon la participation interactive de l’utilisateur·rice est-elle susceptible de modifier la paternité ou maternité de l’œuvre éditée ? In fine, comment le numérique peut-il profiter à l’artiste et à l’édition de sa production ?

Ces axes de réflexions ne sauraient être exhaustifs et toute proposition portant sur la thématique du colloque sera la bienvenue.

Une publication des actes est prévue à l’issue du colloque.

Références bibliographiques

BROGOWSKI (Leszek), Éditer l’art. Le livre d’artiste et l’histoire du livre, nouvelle éd. revue et augmentée, Rennes, Incertain Sens, 2016, 456 p.

BURY (Stephen), Artists’ Multiples, 1935-2000, Aldershot, Ashgate, 2001, 208 p. 

DACOS (Marin), MOUNIER (Pierre), L’édition électronique, Paris, la Découverte, coll. “Repères”, 2010, 128 p.

Design-A-Book. Recherches et créations en Belgique, catalogue d’exposition par Jan Baetens, Nadia Corazzini, Géraldine David, Sofiane Laghouati et al., Bruxelles, Wittockiana, 2023, 126 p.

EPRON (Benoît), VITALI-ROSATI (Marcelo), L’édition à l’ère numérique, Paris, La Découverte, coll. “Repères”, 2018, 127 p. 

GERVAIS (Bertrand), « Arts et littératures hypermédiatiques : éléments pour une valorisation de la culture de l’écran », Digital Studies/Le champ numérique, vol.1 -n° 2, 2009, [En ligne]. 

LAGHOUATI (Sofiane), « Littérature et arts plastiques : la part du livre, la part de l’œuvre », Livres d’artistes et éditions bibliophiles en Belgique (1950-2015) : un retour sur les développements récents, sous la direction de Claude Sorgeloos et Rika Colpart, Bruxelles, Le livre et l’estampe, 2018, p. 159-191.

LUDOVICO (Alessandro), Post-Digital-Print. La mutation de l’édition depuis 1984, trad. Marie-Mathilde Bortolotti, Paris, B42, 2016, 208 p.

LAHOUSTE (Corentin), AUDET (René), « S’affranchir du rapport médusant des œuvres littéraires : balises critiques sur la performativité et la réception des arts littéraires », RELIEF. Revue électronique de littérature française, vol. 17, n° 1, 2023, p. 183-194, [En ligne].

LEGENDRE (Bertrand), Ce que le numérique fait aux livres, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Communication, médias et société », 2019, 144 p.

MOEGLIN-DELCROIX (Anne), Esthétique du livre d’artiste : une introduction à l’art contemporain, nouvelle éd. revue et augmentée, Paris, Bibliothèque nationale de France ; Marseille, Le Mot et le reste, 2012, 443 p.

NACHTERGAEL (Magali), Poet against the machine : une histoire technopolitique de la littérature, Marseille, Le Mot et le reste, 2020, 198 p. 

OBERHUBER (Andrea), LAGHOUATI (Sofiane), « Emploi et contremploi du Livre », sous la direction de Andrea Oberhuber et Sofiane Laghouati, Textimage, n° 11 (« Les Blessures du livre »), 2019, [En ligne].

One for Me and One to Share: Artists’ Multiples and Editions, Dave Dyment et Gregory Elgstrand (eds.), Toronto, YYZBOOKS, 2012, 204 p.

PHILLPOT (Clive). « Booktrek : la prochaine frontière », trad. Jérôme Glicenstein, Nouvelle revue d’esthétique, n° 2 – Livres d’artistes. L’esprit de réseau, 2008, p. 13-23.

Les contradictions de la globalisation éditoriale, sous la direction de Gisèle Sapiro, Paris, Nouveau Monde, 2009, 410 p.

Sciences du Design, n° 8 (« Éditions numériques »), sous la direction de Lucile Haute, Renée Bourassa et Gilles Rouffineau, Paris, Presses universitaires de France, 2018, 112 p.

SINATRA (Michaël E.), VITALI-ROSATI (Marcello), Pratiques de l’édition numérique, Montréal, Presses universitaires de Montréal, coll. « Parcours numériques », 2014, 2019, 224 p.

Modalités de soumission :

Les propositions de communication en français ou en anglais seront adressées avant le 4 avril 2025 à Océane Delleaux (oceane.delleaux@univ-lille.fr) et à Sofiane Laghouati (sofiane.laghouati@musee-mariemont.be) qui les réceptionneront.

Elles incluront :

  • Un titre et un résumé de 400 mots environ (préciser éventuellement l’axe concerné) ;
  • Une courte notice bio-biographique (une demi-page maximum).

Merci d’indiquer dans l’objet de l’e-mail : « Proposition Communication – colloque international Création-Édition »

Les membres du comité scientifique procéderont à la sélection des propositions reçues.

Calendrier :

  • 4 avril 2025 : date limite d’envoi des propositions de communication
  • mi-mai 2025 : retour vers les auteur·rices de propositions
  • 12-14 novembre 2025 : tenue du colloque
  • 2026 : publication des contributions acceptées