Entretiens

Clic-Clac la photographie dans la littérature jeunesse à la médiathèque José Cabanis (Toulouse)

Installée dans les locaux de la médiathèque Jose Cabanis, l’exposition Clic-Clac la photographie dans la littérature jeunesse présente jusqu’au 20 septembre une sélection d’une soixante d’ouvrages publiés en français de 1903 à aujourd’hui et répartis dans trois espaces reliés par des chemins de couleurs. Les visiteurs petits et grands se lancent dans une balade thématique en compagnie des grands noms de la photolittérature jeunesse et à travers une intense production souvent méconnue. Murièle Modély, bibliothécaire responsable des collections patrimoniales jeunesse et de la coordination de la Médiation du Patrimoine écrit a accordé un entretien à Laurence Le Guen.

 

Laurence Le Guen – Comment est donc né ce projet d’une exposition dédiée aux ouvrages photo-illustrés pour les enfants ?

Murièle Modély – Cette exposition s’inscrit dans notre pratique de valorisation du patrimoine contenu dans les réserves patrimoniales de la Bibliothèque de Toulouse, qui compte 50 000 ouvrages de littérature jeunesse du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Depuis 2010, nous mettons en avant, environ tous les trois ans, un aspect de la littérature de jeunesse à partir des collections conservées à la bibliothèque. Nous avons déjà réalisé des expositions autour des livres animés, des abécédaires. Nous avions envie de faire découvrir un aspect méconnu de la littérature jeunesse, en nous intéressant plus particulièrement aux ouvrages narratifs et au pouvoir que possède la photographie de révéler l’imaginaire. L’exposition a été imaginée il y a quatre ans et puis reportée plusieurs fois au fil du temps. Quatre années, cela peut sembler long, mais cela nous a permis d’étoffer le fonds. Nous avons reçu également le soutien de la Médiathèque de Mazamet qui, dans le cadre de la conservation partagée jeunesse, nous a prêté des livres que nous n’avions pas.

Notre ambition était de toucher le public enfantin, or la notion de patrimoine est souvent difficile à appréhender pour lui. Il était donc impératif d’articuler la découverte du patrimoine avec ses pratiques de lecture publique, d’où le choix de la médiathèque Cabanis et d’une scénographie adaptée et ludique invitant à l’interaction. L’exposition est donc le fruit d’une collaboration entre le patrimoine, le pôle jeunesse et le service de l’action culturelle. Nous avions l’ambition de proposer également des choses peu attendues et le choix s’est posé sur la mise en avant du travail de deux photographes plasticiennes, Claire Dé et ses imagiers et Martine Camilieri et ses contes revisités.

LLG – Comment a été pensée la scénographie de cette exposition qui s’étend sur tout le rayon jeunesse de la médiathèque ?

MM – Initialement, nous avions envisagé un fil chronologique. Nous nous sommes rapidement rendus compte que tous les livres les plus anciens sont en noir et blanc et que cela aurait peut-être contrarié la bonne réception du visiteur enfant et aurait pu rapidement le détourner de la visite : le choix thématique s’est donc imposé. La scénographe a proposé de décliner la lumière en bandes de couleurs, sortes de rayons lumineux puisque la photo c’est écrire / dessiner avec la lumière, conduisant aux vitrines thématiques : « Classer, jouer », « Bizarre, bizarre », « Changer de tête », « Balade en ville », « Comment tu t’appelles ?, etc… 13 vitrines sont réparties entre la salle d’exposition, l’atrium au pied des grands escaliers et l’espace jeunesse. L’exposition est conçue comme une balade sans début ni fin. On picore et on suit les différents chemins en fonction de son intérêt et de son envie.

Dans la vitrine « Sujet sensible », on découvre les petits tableaux photographiques du Petit soldat de Pierre-Jacques Ober, visibles par un œilleton. Dans la vitrine des « Livres qui bousculent », on retrouve Fa(r)ces d’Annette Messager et Le Petit Chaperon Rouge de Sarah Moon. L’espace réservé à Claire Dé a été réalisé dans un lieu contraint par les rayonnages habituels de la bibliothèque. La photographe l’a conçu en fonction de cet espace. L’aspect « cabine de plage » des grands panneaux qui l’entourent permet de d’interpeller le regard et le distinguer de la masse des livres présents.

LLG – Comment avez-vous choisi les noms des catégories ? Vous vous détachez des genres canoniques de la littérature de jeunesse.

MM – C’est en travaillant sur le corpus que l’on a vu émerger des correspondances entre les ouvrages et un brainstorming de l’équipe a permis de trouver des titres percutants. Nous avons choisi l’appellation « Sujet sensible » pour les thèmes abordés dans cette vitrine mais également parce que l’adjectif peut faire penser à la sensibilité à la lumière du papier photographique. L’espace « Grandir » que l’on découvre dès que l’on pénètre dans l’exposition, accueille des ouvrages autour du corps et de l’identité du jeune enfant. C’est également une allusion au fait que les livres aident les enfants à découvrir la vie et le monde qui les entoure.

LLG – Plusieurs espaces accueillent des grands tirages de photographes, Lily Franey ou David Ellwand notamment. Est-ce pour rappeler que, derrière le livre de photographies, il y a des artistes photographes ?

MM – Tout à fait. Nous aurions voulu exposer plus de photographies mais tout est une question de budget et d’autorisation de reproduction. Nous avons dû également respecter l’intégrité des œuvres des photographes, certains ne souhaitant en effet pas que leurs photographies soient recadrées pour les adapter aux panneaux accueillant les cartels. La disposition interne des vitrines donne également une grande place à l’image. Les cartels sont au-dessus des vitrines afin que l’attention des visiteurs se focalise d’abord sur les images. Nous avons bien conscience qu’enfants et adultes ne lisent pas toujours les cartels qui ont un contenu assez dense et qui sont plutôt destinés aux spécialistes ou aux passionnés.

Les livres exposés dans chaque vitrine sont choisis autour d’une thématique et les doubles-pages montrées de façon à résonner les unes avec les autres. Il fallait que les livres se répondent, en couleur, graphisme, forme, ou parfois en mettant l’accent sur un élément commun. Cela permet dans une même vitrine de faire cohabiter des livres anciens tirés du patrimoine avec des ouvrages contemporains. Il a d’ailleurs été frustrant parfois de ne pas montrer la couverture de certains comme celle du 1,2,3,4,5, compter en s’amusant de Robert Doisneau.

LLG – Pourquoi avoir choisi de réaliser un focus sur la photographe animalière Ylla ? Vous montrez en vitrine les deux ouvrages réalisés à partir de ses photographies du lionceau et du petit garçon : The Sleepy Little Lion de Margareth Wise Brown et Le Petit Lion avec Jacques Prévert et les enfants peuvent feuiller sur la table Les deux petits ours.

MM – Nous voulions faire un focus sur les grands photographes. Tu parles beaucoup d’Ylla dans ta thèse. Elle n’est plus si connue que cela aujourd’hui alors que c’est une grande photographe qui a fait des bestiaires mais aussi beaucoup de livres narratifs. Son travail illustre parfaitement la polysémie des images. On insiste aussi comme tu l’as fait ce matin lors de la conférence sur la notion de femme photographe et le fait que la photographie ait été un facteur d’émancipation pour elle. On retrouve dans l’exposition Tana Hoban, mais aussi Martine Camillieri et Claire Dé.

LLG – Cette exposition a demandé quatre années de travail. Elle est très belle et très riche. Va-t-on pouvoir la voir ailleurs ensuite ? Que va -telle devenir?

MM – Elle sera démontée. Ces expositions sont réfléchies pour des espaces particuliers et non conçues comme des expositions itinérantes. En fait nous n’avons pas la place pour les stocker. C’est assez frustrant de les voir disparaitre.

LLG – Cette exposition est installée dans le pôle jeunesse. Elle est destinée au public de façon générale mais également aux enfants.

MM – Les enfants découvrent l’exposition avec le petit « Livret-jeu » qui invite à s’amuser tout en apprenant. Il est réalisé à partir des ouvrages présents dans les vitrines et il les invite à les retrouver. Il s’agit de mettre en correspondance les livres exposés. Un coin visionnage permet de regarder des interviews d’artistes comme Christian Bruel, qui revient sur son livre Jérémie du bord de mer, ou le teaser réalisé par les éditions Les Grandes Personnes autour de l’album À toi de jouer ! de Claire Dé. « La table à raconter » de l’autrice et plasticienne Martine Camillieri est une invitation en volume pour découvrir son détournement du conte traditionnel Le petit Poucet.

Dans l’espace « Grandir » les enfants peuvent s’installer pour lire des livres photo-illustrés. Dans l’espace dédié à Claire Dé, on retrouve tout son univers de plasticienne et photographe. Les enfants peuvent manipuler des objets, créer des univers de formes, retrouver des détails de photographies grâce à des cartes. Il y a également des glaces déformantes prêtées par le Quai des Savoirs, des espaces de jeux avec les lettres comme dans le livre ABC c’est assez de Martine Rizzoni. Ils peuvent écouter la lecture enregistrée de À la mode de Jean Lecointre.

LLG – Comment le visiteur découvre-t-il que ces livres ont une histoire et s’inscrivent dans une filiation ? Parlez-vous « photolittérature » ?

MM – L’appareil critique et ta thèse (à paraître en 2021 sous le titre 150 ans de photolittératures pour les enfants, Éditions MeMo), ton carnet de recherches Miniphlit | Photolittérature pour la jeunesse (hypotheses.org) et le dossier réalisé par la BNF en 1996 ont été très inspirants. Le fonds patrimonial est riche à Toulouse. Il faut savoir que, dans les années 1940, s’est ouverte une Bibliothèque de l’Heure Joyeuse grâce à la conservatrice Suzanne Dobelmann, qui s’était formée dans celle existant à Paris et en avait ramené les principes. Cet endroit, en zone libre, était très fréquenté. Cette longue vitrine est chronologique et va de 1903 à aujourd’hui. Elle commence toutefois par cet ouvrage d’Emmanuel Sougez, Regarde !, qui nous lance l’injonction de regarder ces ouvrages. On y retrouve des ouvrages en liens avec les nouvelles pédagogies, la propagande, les ouvrages religieux. D’autres ouvrages anciens sont présents dans les vitrines et opèrent des échos avec ceux d’aujourd’hui.

LLG – Quels sont les évènements prévus pour accompagner cette découverte ?

MM – Nous avons conçu des ateliers en direction du grand public. Ils auraient dû déjà être programmés mais pour l’instant ils sont reportés en raison de la crise sanitaire. Le public adulte a été invité à assister en visio à ta conférence « 150 ans de livres photo-illustrés pour la jeunesse », le 12 avril. Une exposition en ligne avec des entrées thématiques (la petite histoire de la photolittérature jeunesse, les abécédaires et imagiers, les albums narratifs…) va ouvrir ses portes virtuelles en mai. On y retrouvera ta conférence, des photos des ateliers et un dossier pédagogique pour les scolaires. Le 21 juin, la table ronde accueillera les photographes Claire Dé et François Delebecque ainsi que Brigitte Morel des Grandes Personnes. Des visites guidées d’une heure sont également organisées et dispensées par les bibliothécaires. Cette exposition trouve également ses prolongements dans d’autres endroits : à la Bibliothèque Duranti et à la médiathèque Danièle Damin, on peut retrouver jusqu’au 17 avril le travail du photographe plasticien et sculpteur François Delebecque. La médiathèque des Minimes accueillera aussi la sélection de photos « En chemin » de la photographe Danièle Boucon.

 

Pour accéder à l’expo en ligne à partir du mois de mai : https://rosalis.bibliotheque.toulouse.fr

 

Crédit photographique : Bibliothèque de Toulouse et Laurence Le Guen

 


Pour citer cet article:

Laurence Le Guen, « Clic-Clac la photographie dans la littérature jeunesse à la médiathèque José Cabanis (Toulouse) », dans L’Exporateur littéraire, Mar 2024.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/entretien/clic-clac-la-photographie-dans-la-litterature-jeunesse-a-la-mediatheque-jose-cabanis-toulouse/, page consultée le 29/03/2024.