Jean Cortot, le peintre des mots

Du 21.09.2021 au 07.11.2021 Commissaire(s): Marie Minssieux-Chamonard, Bruno Ligore Bibliothèque nationale de France – site François-Mitterrand

Peintre et illustrateur français, Jean Cortot (1925-2018) a été un amoureux des mots, qu’il s’est attaché à mettre en dessins et en couleurs tout au long de sa vie. Nourri de la symbiose entre peinture et écriture et des liens étroits qu’il entretenait avec des auteurs comme Paul Valéry, Raymond Queneau ou Michel Butor, il a créé une œuvre graphique exceptionnelle. Une exposition rend hommage à ce peintre-poète dont 120 livres d’artistes, donnés par son épouse, ont rejoint les collections de la Bibliothèque.

Un peintre-poète

Entré à 17 ans à l’Académie de la Grande Chaumière pour suivre l’enseignement d’Othon Friesz, Jean Cortot contribue en octobre 1942 à la fondation du groupe de l’Échelle avec Jacques Busse, Jean-Marie Calmettes, Michel Patrix, Geneviève Asse. Lauréat du Prix de la jeune peinture à Paris en 1948, il représente l’un des grands espoirs de la peinture figurative d’après-guerre. Pendant environ dix ans, il peint des séries de natures mortes, des paysages d’Ardèche ou de La Ciotat avant de produire la série Correspondances (1959), où il interroge pour la première fois l’écriture qui deviendra son langage plastique.

L’empire des signes

Fasciné par tous les systèmes d’écriture existant dans le monde, il explore dans sa peinture et dans ses livres les signes scripturaux qu’il découvre lors de ses voyages ou de ses lectures : idéogrammes, caractères oghamiques (celtiques), tifinagh (touareg), mais aussi le latin et le grec. Son œuvre pose ainsi la question de l’écriture dans la peinture à travers toutes ses déclinaisons : il commence par peindre des signes inventés et donc indéchiffrables, puis des lettres, des mots et enfin des fragments de textes littéraires lisibles à partir de 1974, avec une invention graphique exceptionnelle. Jean Cortot se plaît à se définir, par opposition au calligraphe, comme un « cacographe », à l’écriture malhabile, obligeant ainsi le lecteur à un effort de déchiffrement.

Écritures plurielles

Fils du célèbre pianiste Alfred Cortot, le peintre baigne, dès son enfance, dans un milieu musical, artistique et littéraire remarquable. Au sein du cercle familial, il fréquente ainsi Paul Valéry, Henri Matisse, Paul Morand, Stefan Zweig, Colette ou Georges Duhamel. Grand lecteur, il se lie d’amitié avec un certain nombre d’écrivains questionnant comme lui les relations de l’écriture et de la peinture tels Raymond Queneau, Jean Tardieu, Henri Michaux ou Michel Butor. « Prédateur de textes », Jean Cortot affirme puiser dans la littérature l’énergie nécessaire pour créer à son tour tableaux-hommages et livres d’artistes. Le premier d’entre eux, La Charge du roi de Jean Giono édité par Maeght en 1965, est suivi de centaines d’autres à tirages plus confidentiels, avec des textes de René Char, Jean Tardieu ou Henri Michaux. Avec des artistes comme Julius Baltazar ou Gérard Garouste, il collabore épisodiquement à la création de livres d’artistes, pour la plupart manuscrits et ornés de peintures originales aux contrastes colorés. Créés souvent à moins de dix exemplaires, ils jouent avec la multiplicité des formes possibles du livre (codex, leporello, rouleau, livre-objet…). Par l’expressivité de sa graphie et par sa gestuelle, l’artiste semble à chaque fois interpréter le texte et l’exécuter, telle une partition musicale.
Organisée autour de la donation, l’exposition montre l’écriture à l’œuvre d’un peintre-poète qui ne cesse de penser les relations de l’écriture et de la peinture. À travers une sélection de livres d’artistes, extraits de correspondances, photographies et tableaux, elle invite le visiteur à suivre Jean Cortot dans l’intimité de son atelier où s’élabore l’alchimie de son langage pictural.

Explorer, créer

Quatre sections thématiques rythment le parcours. Après une première partie consacrée à la formation intellectuelle et artistique du peintre, marquée par les figures tutélaires d’Alfred Cortot et de Paul Valéry, l’exposition dévoile la recherche de l’artiste autour des signes et des systèmes d’écriture découverts lors de voyages ou de lectures dans les années 1950-1960 . Elle se poursuit avec les « écritures peintes », étonnantes symbioses entre écriture et peinture, créées à partir des années 1980 en hommage aux écrivains et poètes admirés. Enfin, la dernière partie montre quelques œuvres croisées élaborées à quatre mains avec des amis artistes (Julius Baltazar, Anne Walker, Bertrand Dorny, Gérard Garouste) invités à partager l’espace ludique du livre avec le peintre, se faisant poète pour l’occasion.

Lire l’article de Chronique n°92