Carnet de visites

21/03/2002

Victor Hugo, l’homme-océan (exposition en ligne)

Bibliothèque nationale de France – site Richelieu Commissaire(s): Marie-Laure Prévost

 

L’exposition compte parmi les premières réalisations de ce type qui ont vu le jour au sein des services de la Bibliothèque de France en charge de la conservation, de l’audiovisuel et du multimédia, des médiations et des publics, dans les années 2000. Elle prend place dans la « Galerie des écrivains et des conteurs », aux côtés des expositions consacrées à Marcel Proust et à Boris Vian ou à des œuvres comme Le Roman de Renart et Candide, par exemple. L’exposition en ligne accompagne une exposition « fleuve » qui s’est tenue à la BnF (site François-Mitterrand), du 21 mars au 21 juin 2002. Marie-Laure Prévost, conservatrice au département des manuscrits en charge du fonds Hugo, en a été la commissaire. Le travail titanesque qu’elle a fourni avec les collaborateurs du projet a valu un grand succès à l’exposition auprès des visiteurs comme de la critique, une vingtaine d’années après l’exposition « monstre » orchestrée par Pierre Georgel, au Grand Palais, en 1986 : La Gloire de Victor Hugo. Parmi les très nombreux événements culturels proposés, l’exposition parisienne de 2002 a, de fait, marqué les commémorations qui célébraient le bicentenaire de la naissance de Hugo. Contrairement à l’exposition de 1986 centrée sur la biographie et la réception de l’écrivain, celle de 2002 a pris le parti de valoriser le génie artistique de Hugo, sa puissance imaginative et créatrice dans tous les domaines domaines : littérature, graphisme, dessins…

On ne s’étonnera pas que l’exposition reprenne globalement la charte graphique de l’exposition in situ : écritures manuscrites en rouge, arrière-plan stylisé figurant des vagues déchaînées dans les tons bleus, verts et gris. Autre complémentarité : la trame scientifique du propos de la commissaire, des citations tirées du catalogue, mais aussi les documents exposés et la thématisation d’un parcours motivé par une analogie entre la commémoration, en 2002, de Victor Hugo, l’« homme-océan » du xixe siècle, avec William Shakespeare, que l’écrivain baptise ainsi dans un essai éponyme, paru en 1864 à l’occasion du tricentenaire de la mort du dramaturge anglais.

Les deux génies polygraphes sont d’ailleurs convoqués dès la page d’accueil de l’exposition en ligne d’une manière qui peut déconcerter de prime abord : un dessin, réalisé par Hugo, de la maison-musée du « Barde de Stratford-upon-Avon », voisine deux portraits à la pointe-sèche de l’écrivain français, par Rodin. Une (trop) discrète flèche rouge sur la gauche du menu latéral déroulant permet de visionner de façon synthétique des pièces importantes du parcours (manuscrits, dessins…) : ces documents donnent d’emblée la mesure de l’éclectisme et de la variété du génie hugolien, comme de l’exposition.

S’affranchissant de l’exposition in situ, l’exposition en ligne propose sa propre organisation pour valoriser les documents iconographiques qui font toute sa richesse : si l’ensemble est foisonnant et se veut structuré, il faut malgré tout avouer que la logique qui préside à cette organisation échappe à première vue et que les outils de navigation correspondants (menus déroulants, flèches interactives, zooms, mosaïques d’images non titrées…) ne sont pas très ergonomiques. Il reste cependant possible de revenir facilement au sommaire principal en cliquant sur le titre de l’exposition, en haut à gauche.

L’exposition s’organise autour de quatre axes. Le premier, iconographique, est foisonnant et valorise le génie imaginatif, graphique et plastique de Hugo. Les documents manuscrits y occupent une place de choix, comme dans l’ensemble de l’exposition d’ailleurs, qu’ils soient associés à une œuvre littéraire ou pas (annotations sur un croquis, un portrait, devise…). La section est subdivisée comme suit : présentation panoptique de l’exposition, « dessins » et « audiovisuels [sic] ». Lorsqu’on clique sur « dessins », on croise étrangement le sommaire de la section suivante et de la sous-section « audiovisuels » comprenant des entretiens filmés de personnalités liées à l’œuvre de Hugo (Robert Badinter pour les écrits engagés de l’écrivain contre la peine de mort, par exemple). La nomenclature de ces parties et de la suivante, « arrêt(s) sur » thèmes et sur images, s’avère redondante et sème la confusion dans l’esprit de l’internaute : « océan »/ « l’homme-océan », « écrits »/ « l’écrivain », « œuvre littéraire », « dessins »/ « le plasticien », « voyages »/ « le voyageur » et « engagement »/ « l’homme engagé ». Les titres choisis, hétérogènes, ont cependant le mérite de regrouper des documents extrêmement nombreux : d’aucuns auraient peut-être souhaité que soit effectué un tri plus drastique pour que l’internaute se repère mieux dans une exposition qui se fait elle-même océanique.

Bien que les sous-sections soient abondamment illustrées d’images en très bonne définition, et bien que les informations relatives aux documents (titre, technique, date de création…) soient précisément référencées avec quelques lignes explicatives complémentaires, rares sont les sous-sections assorties d’un texte de synthèse qui aiderait à saisir le sens de l’exposition, comme c’est le cas pour le « livre d’artiste », par exemple. L’association texte-image se met en place dans les sections « arrêt sur » et « gros plan » : un texte structuré développe un thème de façon synthétique avec quelques images qui l’encadrent, sur la partie gauche de l’écran. On apprécie le sous-axe traitant de l’écrivain avec une présentation synthétique de l’œuvre littéraire, du style et du statut des manuscrits de Hugo, dont il a fait don à la Bibliothèque de son vivant. Ce choix éditorial assure une lecture aisée, mais il convient de cliquer sur les images et de dérouler l’ascenseur pour accéder au « cartel » des œuvres, et l’écran paraît bien vide sur la partie droite.

En revanche, on salue la richesse de la dernière section, malgré un côté « fourre-tout ». Elle fournit des documents pédagogiques, et propose aussi un « gros plan » sur quelques textes, manuscrits et dessins remarquables. Enfin, elle donne accès à un « cabinet de lecture » dont le nom connote l’in situ de la bibliothèque. Là, le propos s’éloigne d’un format expositionnel et essentiellement visuel pour associer étroitement œuvres plastiques et textes littéraires. On entre plus en détails dans l’œuvre littéraire. Mais, cette fois, c’est l’expérience de la lecture qui est valorisée et les textes d’escorte sont plus nombreux et plus fournis.

Dans cette section, on découvre un ensemble varié de thématiques éclairées par des textes, des images et des propositions pédagogiques concrètes qui s’appuient sur les documents mobilisés. Dans le « gros plan », le lecteur se réjouit d’être guidé dans Les Travailleurs de la Mer, grâce à une anthologie de textes tirés du roman. L’internaute peut aussi y explorer le manuscrit de « Dolor » (Les Contemplations). Enfin, il peut écouter une lecture « à voix haute » de certains textes de l’écrivain, visibles et lisibles sous leur forme manuscrite. Cette sous-partie, comme le focus sur l’œuvre, confèrent une fonction pédagogique à l’exposition qui s’auto-désigne comme un outil de médiation destiné au public scolaire. Les contenus sont d’ailleurs tournés vers des activités scolaires : sujets de débat, biblio-filmo-disco-webographies, images d’époque sur des thèmes de société, extraits d’œuvres de Hugo, accessibles grâce à des hyperliens.

Toutefois, certains contenus renvoient à des pages déjà référencées dans d’autres sections : ces doublons accentuent l’effet labyrinthique du site qui déroute le public. Le site s’avère de fait praticable pour des adultes, parmi lesquels les enseignants semblent être une cible privilégiée. En revanche, le site s’avère à la longue trop austère (choix des polices en général, mise en page systématique), trop peu ludique et difficilement praticable pour le jeune public. Enfin, on regrette l’obsolescence de certains contenus multimédia (liens vidéo, pistes sonores de lectures, hyperliens vers des pages Web) qui donnaient pourtant sa plus-value à l’expérience entreprise par rapport aux pages ne proposant que des textes et des images fixes. L’absence de mise à jour de l’exposition frustre l’internaute qui peut toutefois se reporter sur d’autres outils, comme Gallica. Reste que l’exposition, qui relevait de la gageure, rend compte du génie tentaculaire de l’homme-océan, que Gilliatt, protagoniste des Travailleurs de la mer, aurait bien eu du mal à dompter.

 

Marie-Clémence Régnier

Université d’Artois


Pour citer cet article:

Marie-Clémence Régnier, « Victor Hugo, l’homme-océan (exposition en ligne) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Mar 2002.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/victor-hugo-lhomme-ocean-exposition-en-ligne/, page consultée le 25/04/2024.