Carnet de visites

01/09/2016

Les Hugo, une famille d’artistes (Paris)

Maison de Victor Hugo Commissaire(s): Gérard Audinet

 

Les Hugo, une famille d’artistes, Maison de Victor Hugo (Paris), du 14 avril au 18 septembre 2016

 

Cinq générations d’artistes sous un même toit. Rarement une exposition aura aussi bien fait porter son nom à la « Maison de Victor Hugo ». Cinq générations de l’arbre généalogique, présenté sur le palier du premier étage, ont fait l’objet du parcours qui donnait à voir les œuvres d’une dizaine de membres de la famille.

 

Les maisons pour horizon

Le texte d’accueil pose les contours de l’exposition : d’une part, il s’agit de mettre à l’honneur le « dessinateur visionnaire » et le « décorateur inventif » que fut le vénérable aïeul parallèlement à son activité littéraire et, d’autre part, au travers de ce prisme, d’observer la transmission du génie hugolien aux descendants de l’écrivain. Le point de départ, a priori gênant tant l’ombre du discours atavique hante une telle démarche, est réorienté grâce à un parcours cohérent qui assure l’unité de l’exposition. En effet, celle-ci s’organise autour d’un thème central opportunément valorisé place des Vosges, où le paterfamilias résida avec sa famille, de 1832 à 1848. Le statut hybride de l’appartement-musée est habilement utilisé pour faire de la « maison » le foyer, où convergent les membres de la famille et les pratiques artistiques des uns et des autres. De ce point de vue, l’emploi récurent du motif domestique de l’assiette, en guise de signalétique (par L’Atelier), amuse. Mais il fait plus bien si l’on considère que le mur inaugural, couvert de dizaines d’assiettes et sur lequel figure le titre de l’exposition, fait écho au goût de Hugo pour l’installation de ces ustensiles aux murs et… aux plafonds de ses maisons.

À cet égard en effet, l’exposition exploite à plein le statut domestique du lieu. Elle valorise deux maisons surtout : l’appartement parisien proprement dit, et la maison de l’exil que Hugo acheta grâce au succès des Contemplations à Guernesey, en 1856. Pour valoriser le thème de l’exposition, le Studio Tovar a misé sur une scénographie dans les tons de la photographie, noir et blanc et sépia, autour des deux motifs au cœur du projet : l’art et la famille. Si le motif de la famille accueille le visiteur dans une sorte de banquet dominical, c’est un arbre généalogique composé d’assiettes, il est surtout présent « en filigrane » notamment par l’utilisation, en guise de papiers-peints, d’agrandissements photographiques — qui sont, pour l’essentiel, des images d’Hugo et/ou de ses demeures. Quant à celui de l’art, qui dominera dans le cadre de l’exposition tout en déclinant le motif premier, il est représenté par plusieurs types d’objets-outils qui structurent l’espace : comme les panneaux didactiques, les supports d’expôts et les vitrines.

 

Galerie de portraits, reliques familiales et décors domestiques

Au second étage, où débute l’exposition, le visiteur découvre les réels talents de portraitiste de la belle-sœur de Hugo, Julie Duvidal de Montferrier, initiatrice d’Adèle Hugo à cet art, et le premier cercle de la famille (parents, frères, puis enfants de Hugo), avant la seconde pièce centrée sur la maisonnée de Victor. L’exposition temporaire parvient ainsi à employer les objets et œuvres de l’exposition permanente dans les deux premières salles qui rassemblent portraits et  reliques charmantes : petits chaussons, couronne de mariée de Léopoldine, sacoche à cheval, lettres etc.

Du salon chinois, reconstitution partielle du salon de Hauteville-Fairy, maison de la belle Juliette, à la reconstitution de la chambre mortuaire de la maison de l’avenue d’Eylau qui boucle l’étage, l’accent est mis sur l’œuvre plastique de Hugo. Dessins, meubles, décors dévoilent dans les salles suivantes les décors hugoliens d’Hauteville House et les talents d’un Hugo artiste, déjà bien connu depuis les travaux de Pierre Georgel et l’exposition Victor Hugo, l’homme océan (BnF, 2002). Citons également la parution, au printemps 2016, de l’ouvrage consacré à Hauteville House et au « Victor Hugo décorateur » (éd. Paris Musées). Du reste, la nouvelle muséographie du musée, récemment inaugurée, sert à merveille ce parti-pris des choses dans l’enfilade des salons successifs, rénovés à l’appui d’archives. Cependant, cette première découverte du génie artistique hugolien ne comporte guère d’objet inédit par rapport à l’exposition permanente où l’on regrette, d’ailleurs, l’absence de remise en perspective globale des différents domiciles occupés par Hugo au cours de sa vie.

 

À chacun sa manière

C’est au premier étage que l’exposition temporaire trouve véritablement son propos, servi par la scénographie du Studio Tovar. Dans la partie « musée », les cimaises sont couvertes de tirages agrandis de photographies représentant Hauteville House. Le mobilier de l’exposition, sobre et blanc, rappelle l’architecture insulaire des îles anglo-normandes. Surplombés d’une lampe, qui instaure une ambiance intime selon les vœux du scénographe, les textes biographiques sont présentés sur supports transparents ou opaques laissant, tour à tour, les décors de la maison à l’arrière-plan ou révélant, au contraire, les papiers-peints de l’exposition. Les supports d’expôts, que sont les panneaux blancs, se présentent légèrement inclinés, comme une évocation des toiles de peintres posés sur chevalet, et servent de cimaises aux œuvres de chaque membre de la famille. Chaque artiste est introduit par un double dispositif : un panneau didactique, en réalité biographique, et un premier panneau blanc sur lequel on retrouve un fragment de l’arborescence généalogique ainsi qu’une assiette à son nom. On retrouve également une évocation de ce dispositif dans le choix des vitrines blanches posées sur tréteaux, ainsi que l’utilisation des mêmes rivets colorés présents sur les « toiles blanches » lesquels tendent, au moins symboliquement, le châssis.

Immergé dans le décor guernesiais, le visiteur découvre les dessins, partitions, albums, costumes, croquis, photographies des descendants de Hugo. Là encore, la cohérence de l’exposition se nourrit des sections, correspondant chacune dans l’ordre chronologique – de façon un peu figée et monotone peut-être – à un membre de la famille.

De l’adroite maison miniature fabriquée en cartes par Hugo pour sa progéniture, aux portraits dessinés par Mme Hugo, en passant par les dessins des enfants, le visiteur est initié au goût de la famille pour les arts plastiques, que l’éloignement insulaire et l’exil ont assurément intensifié.

La salle suivante présente un intérêt esthétique et artistique réel avec les photographies de Charles, auteur du Chez Victor Hugo par un passant (1864). Toutefois, l’exposition n’offre guère de portraits et de vues insulaires inédits au regard des expositions présentées par le passé (Habiter l’exil Klavdij Sluban en 2014-2015, Portraits d’écrivains en 2010-2011…). Parmi les objets exposés, mentionnons cependant les étonnants photos-montages imaginés par le fils de Hugo, à l’instar de l’Album Allix dont on regrette de ne pas pouvoir tourner les pages tant il a l’air riche.

La section consacrée au neveu Léopold, mathématicien, déroute par les gravures fantaisistes qui le représentent. Celle dévolue à Adèle Hugo, fille de Victor et d’Adèle mère, satisfait plus encore notre curiosité : elle donne à voir un aspect méconnu de la destinée de celle qui grandit dans l’ombre funeste de sa sœur de Léopoldine : ici, ce n’est pas le dessin, la photographie ou la peinture qui sont mises à l’honneur, mais la musique. La mise en musique de l’œuvre de Hugo par sa fille surprend donc, et dévoile un nouveau visage d’Adèle, restée célèbre pour son Journal et sa triste existence. Après le cercle proche, place aux générations suivantes.

Les dessins et aquarelles de Georges Hugo, petit-fils de Victor, étonnent surtout par les techniques de réalisation employées pour les dessins exécutés dans les tranchées de la Grande Guerre avec des matériaux de fortune : café, « pinard », craie… Cette partie débouche sur une nouvelle salle, entièrement dédiée aux dessins, toiles, décors et costumes de théâtre de Jean Hugo, arrière-petit-fils qui a su se faire un prénom et un nom par rapport à ses aînés. Comme attendu, c’est principalement la partie de l’œuvre liée au théâtre de Victor qui est présentée ici. On apprécie l’effort de varier les supports, grâce à l’exposition de croquis et d’un costume, placé sous vitrine, au milieu de la pièce. Le souvenir du théâtre de Hugo ressurgit ainsi avec bonheur au sein d’un musée qui lui fait régulièrement la part belle (Jean Mounet-Sully début 2016, Regards croisés en 2014-2015, Voir des étoiles, par exemple, en 2002).

 

Le fantôme de l’aïeul, l’ombre portée de Hauteville House

L’exposition se clôt sur les dessins de Marie Hugo et les photographies de Jean-Baptiste Hugo (fille et fils de Jean), qui convergent autour des intérieurs de Hauteville-House. Au cœur de l’espace consacré à ses plus proches descendants, on découvre une double borne multimédia, réalisée par l’atelier Fleur de papier, qui propose d’appréhender autrement la généalogie artistique. Tout en respectant la charte graphique de l’exposition, par l’utilisation des assiettes et du noir et blanc, la borne interactive permet d’appréhender de manière synthétique l’ensemble des pratiques familiales. Même si elle n’apporte pas une réelle plus-value à l’exposition, et peut paraître redondante, elle pourrait toutefois bénéficier d’une seconde vie de manière opportune et indépendante sur le site de l’institution. Marie Hugo propose des dessins hauts en couleur de motifs décoratifs de la maison, comme obsessionnels (ainsi de la devise hugolienne « Exilium vita est »), et une interprétation pour le moins curieuse du célèbre fauteuil des ancêtres, conçu en l’honneur des mânes de ses aïeux par Hugo, dont la présence fantomatique hante encore les descendants de Victor. Des « empreintes » des faces du fauteuil, sur tissu blanc, flottent dans les airs, à la manière du voile d’esprits revenants ou de rideaux agités par le vent de Guernesey… Les subligraphies tirées en chromaLuxe de Jean-Baptiste Hugo renouvellent les vues photographiques d’Hauteville House dont est familier le musée et qui sont presque devenus un genre à part entière au cours des dernières décennies (Habiter l’exil Klavdij Sluban, Dans l’intimité de Victor Hugo à Hauteville House d’Olivier Mériel aux éditions Paris-Musées, 1998).Arrivé au terme de l’exposition et au seuil d’Hauteville House, pas de transition. Le visiteur est invité à descendre les escaliers qui le ramènent bien vite à la réalité. Heureusement, la programmation du musée lui fera certainement de nouveau rejoindre les sommets du génie hugolien en empruntant « La Pente de la rêverie ».

 

Marie-Clémence Régnier (Université Paris-Sorbonne)
septembre 2016

 

Commissariat : Alexandrine Achille, Michèle Bertaux, Odile Blanchette, Martine Contensou, Ralph Grossman, Claire Lecourt-Aubry, Marie-Laurence Marco.

Commissaire général : Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo, Paris/ Guernesey.

Scénographie : Studio Tovar

Pas de catalogue, mais un livre à l’origine du projet: Hauteville House : Victor Hugo décorateur par Laura Hugo (Auteur), Marie Hugo (Illustrations), Jean-Baptiste Hugo (Photographies), Paris Musées, 2016.

Voir la vidéo teaser de l’exposition :

 


Pour citer cet article:

Marie-Clémence Régnier, « Les Hugo, une famille d’artistes (Paris) », dans L'Exporateur. Carnet de visites, Sep 2016.
URL : https://www.litteraturesmodesdemploi.org/carnet/a-la-recherche-dutopia-2/, page consultée le 23/04/2024.